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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/549

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là. Au lieu de mouler quelques parties, il est évident qu’il a moulé la figure entière, à l’exception de la tête, qu’il a réuni les morceaux et livré le plâtre au praticien, qui l’a mis au point. Un tel procédé peut éblouir pendant quelques semaines les yeux de la foule, mais n’a rien à démêler avec la statuaire proprement dite.

S’il pouvait d’ailleurs rester quelque doute dans l’esprit du spectateur éclairé sur la nature du procédé employé par M. Clesinger, sur la manière dont il a reproduit la réalité, ce doute s’effacerait bientôt en présence des enfans de M. le marquis de Las Marismas. Dans ce groupe, qui pouvait être charmant, la réalité est complètement absente. Si la figure piquée par un serpent n’est pas moulée, pourquoi cette différence qui frappe les yeux les moins exercés ? Pourquoi cette femme est-elle si réelle, tandis que ces enfans ont si peu de réalité ? Ces deux œuvres, qui se ressemblent si peu, sont-elles sorties de la même main ? Je ne puis consentir à le croire. Dans la première de ces œuvres, M. Clesinger nous a donné le modèle tel qu’il est, sans rien y mettre de personnel ; dans la seconde, il nous a donné la nature telle qu’il la voit, et comme il la voit mal, comme il ne sait pas la reproduire, comme l’ébauchoir entre ses mains ne sait pas lutter avec la réalité, il nous a montré deux enfans dont le modèle n’existe nulle part. Les proportions qui appartiennent à l’enfance ne sont pas observées. Le torse n’a pas la longueur voulue, le ventre n’est pas assez développé, la poitrine est celle d’un adulte, les membres inférieurs sont trop longs. En un mot, ces deux enfans sont tout simplement deux hommes vus à travers une lorgnette retournée. A coup sûr, celui qui a fait ces deux enfans ne peut pas avoir fait la figure de femme dont nous parlions tout à l’heure. Il n’y a qu’une seule manière plausible d’expliquer la différence profonde qui sépare ces deux ouvrages, c’est de voir, dans le premier, la reproduction impersonnelle de la réalité, et, dans le second, une lutte impuissante contre la nature que l’auteur avait sous les yeux. Pour arriver à cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’avoir vu assembler les morceaux dont se compose la figure, qui, pour nous, est une figure moulée ; il suffit de la comparer au groupe des enfans du marquis de Las Marismas.

Je ne dis rien du buste de M. de Beaufort : c’est un ouvrage insignifiant dont la critique ne doit pas s’occuper ; mais je me crois obligé de parler du buste de Mme ***, parce que la foule s’est engouée de ce portrait comme elle s’était engouée de la figure piquée par un serpent. Ici, le savoir de M. Clesinger se montre dans toute son indigence. A propos de ce portrait, j’ai entendu prononcer le nom de Coustou ; il n’y a rien de commun entre Coustou et M. Clesinger. Coustou, sans être un Phidias, a montré dans ses ouvrages une véritable habileté, une grace, une élégance, qui lui assurent un rang élevé dans l’histoire de l’art. Il lui est arrivé plus d’une fois de blesser le goût des juges sévères dans