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mais qui, vues de loin et d’ensemble, deviennent la révélation des terribles et mystérieuses lois de l’humanité. Où trouvera-t-on ce spectacle plus animé, plus fécond en péripéties que dans cette classique Grèce, ce grand pays qui tient une si petite place sur la carte ? Dans cette terre privilégiée, pas une montagne qui ne redise le nom d’un poète, d’un sage, d’un héros, d’un artiste. Pour nous, les noms des hommes illustres de la Grèce, de ses grands morts, comme disait César à Pharsale, sont encore les synonymes de génie et de vertu. Quelle contrée, si vaste qu’elle soit, peut se vanter d’avoir produit un Socrate, un Platon, un Phidias, un Homère, un Eschyle, un Aristote ? Souvent le monde a été bouleversé par des hordes brutales mises en mouvement, comme les Huns, par un fléau de Dieu. A la Grèce seule était réservée la gloire d’éclairer les autres nations et de les policer. Ses arts, sa littérature, ses armes, ont été bienfaisans. Dans l’espace de quelques siècles, vingt peuples helléniques, ou plutôt vingt petites villes ont déployé une activité sans égale pour réaliser tout ce qui se peut imaginer de bon, d’utile et de beau. Leurs institutions si variées, leurs mœurs plus variées encore se sont ressemblé pourtant par un but commun, celui de conserver à l’individu sa valeur propre et de lui offrir le plus libre développement de toutes ses facultés.

Le temps a cruellement mutilé l’histoire de la Grèce comme toutes les autres parties de sa littérature. Pour reconstruire l’édifice avec ses débris épars, il faut non-seulement le jugement et la critique nécessaires à tout historien, mais encore une variété de connaissances spéciales qui rarement se trouvent réunies dans le même homme : d’abord une intelligence profonde d’une langue difficile et d’une étonnante richesse, puis des études sérieuses sur toutes les branches de l’archéologie, cette science qui fait servir les monumens figurés à remplir les lacunes des monumens écrits. Les rapports de la Grèce avec l’Orient et l’Égypte ont été trop fréquens pour qu’il ne soit pas indispensable d’être préparé à plus d’une excursion dans ces contrées, où maint habile antiquaire ne s’aventure que timidement. Sans doute une forte éducation classique et d’immenses lectures, auxquelles on ne se résigne guère que lorsqu’on est doué de cette curiosité particulière aux érudits, peuvent mettre aux mains d’un littérateur les premiers matériaux, et, pour ainsi parler, les instrumens indispensables à son œuvre ; ce ne sera rien encore tant qu’il n’aura pas compris, ou plutôt deviné par une sorte d’intuition la vie antique, si différente de notre vie moderne. A toutes les époques, des savans laborieux, des hommes de lettres instruits ont écrit sur la Grèce ; aujourd’hui, on ne trouve guère dans leurs ouvrages que les idées et les opinions de leur temps. Dans ces drames composés successivement sur le même sujet, les noms des personnages sont les mêmes, mais les costumes et, ce qui est plus fâcheux, les caractères et le langage