Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se transforment continuellement et s’éloignent de plus en plus de la vérité. Il y a quelque vingt ans, Courier se moquait de Larcher, qui n’avait vu dans Hérodote que seigneurs, princesses et gens de qualité. Au moyen-âge, les trouvères racontaient aux barons de France les aventures du bon chevalier Hector le Troyen et les amoureuses entreprises formées pour les beaux yeux de madame Hélène. Aujourd’hui, aux Thermopyles, le pâtre qui vous guide vous montre le lieu où le klephte Léonidas trouva la mort en défendant le Dervéni contre un pacha.

Notre siècle a peut-être un avantage sur ceux qui l’ont précédé : les impurs constitutionnelles nous ont habitués aux débats politiques, et, à force d’entendre parler de nos constitutions modernes, nous comprenons mieux les gouvernemens libres de l’antiquité. Nos chambres, nos élections, nous expliquent l’agora d’Athènes ou le sénat de Sparte, que les courtisans de l’Œil-de-Bœuf avaient peine, je pense, à se représenter clairement. D’un autre côté, nous n’avons plus de ces grandes passions, ni même de ces modes tyranniques, comme on en avait autrefois, qui plient tout à un certain caprice et à de certaines conventions. Accoutumés au scepticisme, blasés, indifférens pour le présent, nous pouvons juger plus sainement du passé. En littérature, comme dans les arts, il n’y a plus d’écoles, ou, s’il en existe encore, on y professe l’éclectisme. Le meilleur temps pour traduire, pour comprendre ceux qui ont inventé, c’est peut-être le temps où l’on n’invente plus ; c’est le nôtre. En résumé, nos progrès, nos qualités, nos défauts même, favorisent aujourd’hui les études historiques. On peut en voir déjà les heureux effets. Le moyen-âge, lettre close pour nos aïeux, s’est éclairé d’une vive lumière, grace aux savantes recherches de M. Guizot et de M. Augustin Thierry. L’histoire de la Grèce et celle de Rome se sont rajeunies en Allemagne par les doctes travaux de Niebuhr et d’Ottfried Müller. Malheureusement ces deux grands chefs d’école se sont montrés plus habiles à détruire l’œuvre de leurs prédécesseurs qu’à fonder un monument durable. Le premier a bien convaincu Tite-Live d’avoir écrit un joli roman sur les premiers siècles de Rome, mais il n’a pu persuader à tous ses lecteurs que les choses se passaient au Capitole comme dans la Rathhaus de Ditmarschen. Esprit plus juste et moins aventureux, O. Müller n’est arrivé en général qu’à des résultats négatifs, ou bien à des fables reconnues il n’a substitué que des hypothèses plus ingénieuses que solides. L’un et l’autre, avec les défauts de leur pays, s’abandonnent trop souvent à leur imagination et se passionnent quand il s’agit de raisonner. Admirables pour découvrir un filon dans la mine la plus obscure, ils en perdent quelquefois la trace par leur empressement à tout bouleverser pour l’atteindre. Pour ma part, j’ai foi dans le bon sens britannique, et je vois avec plaisir qu’un Anglais, c’est-à-dire un esprit pratique et positif, qu’un ancien membre du parlement