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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/664

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leurrant de ses rayons sans chaleur le regard ébloui. La campagne, naturellement grise et morne, n’a guère changé de couleur ; les héliotropes se fanent à peine le long des murs qu’ils tapissent comme le lierre ; les oranges mûrissent ; quelque hirondelle, confiante dans la sérénité du ciel, se montre encore au bord des eaux. Qui reconnaîtrait l’hiver sous ces dehors séduisans ?

Pendant l’été, lorsqu’une fraîche brise du nord anime les flots et les couvre de petites voiles, lorsque le soleil descend dans la mer, éteignant peu à peu ses rayons derrière la brume dorée qui annonce une suite non interrompue de beaux jours, il se fait dans les rues et sur les quais de Lisbonne un certain mouvement. Qui pourrait résister au charme d’un ciel limpide et transparent comme celui de la Grèce, d’une température qui rappelle presque celle clés heureuses contrées situées sous les tropiques ? N’est-ce pas l’heure du repos dans les pays où l’on travaille, et l’heure des plaisirs dans ceux où l’on vit de chansons et de sérénades ? Quelques dames se montrent à la promenade ; des groupes se forment sur la grande place et sur le quai de Sodré, localités rivales, fréquentées, celle-ci par les septembristes, celle-là par les partisans de la charte quand même. On se promène de long en large, comme sur le mail des petites villes de France, jetant par habitude un regard sur le port, et parlant bas, avec cette discrétion qui n’abandonne jamais les Portugais. Les nouvelles qui se débitent ici et là sont si contradictoires, on y ajoute soi-même si peu de foi, qu’on les met en circulation avec une extrême réserve : le paquebot anglais n’apportant les journaux que trois fois par mois, les esprits inventifs ont toute latitude pour y ajouter des commentaires. Dans un coin retiré, les mariniers s’attroupent autour de deux ou trois piferari, assez semblables, quant au costume et à la physionomie, à ceux de la campagne de Rome. Ces musiciens au visage sévère jouent sur la flûte et sur la clarinette quelques airs étranges apportés des montagnes d’Estrella, refrains tantôt vifs, tantôt mélancoliques, qu’on n’entend nulle part ailleurs, que l’orgue de Barbarie n’a point vulgarisés dans les carrefours de Paris. L’orchestre et le public se maintiennent dans un calme, je dirais presque dans un recueillement extraordinaire. Certainement ces airs de province, auxquels une voix d’enfant vient par instans joindre des paroles, éveillent au cœur de cette population de marins quelques doux souvenirs, et peu à peu la nuit arrive. Le crépuscule n’est pas long sous les latitudes méridionales ; les ténèbres succèdent rapidement à la lumière, et les ténèbres amènent le silence. Voyez, la foule s’est dissipée comme par enchantement. La cloche suspendue à la grille de la promenade a averti les bourgeois de regagner leurs demeures ; l'aguador s’éloigne des quais en répétant à de longs intervalles son cri de : Agoa boa fresquinha