Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/665

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(bonne eau fraîche !) Et le murmure des voix humaines ayant cessé, on entend celui des flots qui baignent le rivage, ou le clapotement de la vague heurtant la proue d’une barque attardée.

Cependant il est huit heures à peine ; si des marchands parisiens s’obstinent à illuminer leur étalage pour quelques instans encore, les argentiers et les orfèvres ont fermé leurs boutiques. Rien n’est morne comme ces enfilades de rues faiblement éclairées, présentant une suite de portes bardées de fer, munies d’énormes cadenas comme des prisons. Dans les cafés, asiles ouverts à l’étranger que cette solitude subite a surpris en chemin, les Français sont en nombre ; on les reconnaît à l’habitude qu’ils ont de parler haut, de trancher d’un mot les questions politiques les plus embrouillées : aussi l’Anglais, qui ne s’assied nulle part sans avoir étudié de l’œil ses voisins, ne se montre-t-il guère autour de ces tables animées. Quant à l’habitant de Lisbonne, où est-il ? On ne voit point de lumières briller aux fenêtres ; le silence des rues indique assez que le soir n’est point l’heure des visites. L’aristocratie, qui a pris les mœurs du nord, se réunit dans quelques salons où l’on ne parle pas même portugais, où rien de ce qui se fait, rien de ce qui se dit n’appartient en propre au pays. La classe intermédiaire entre cette société à part et le peuple des faubourgs, celle qui ailleurs pense et écrit, celle qui produit les artistes, les savans, et concourt dans une proportion considérable à la gloire d’une nation, la classe moyenne et bourgeoise ne forme point à Lisbonne une masse consistante et visible. Le goût littéraire y languit, et les arts ne peuvent s’y naturaliser ; il leur manque l’atmosphère de ces salons où les esprits d’élite se rassemblent, s’échauffent par la causerie et se tempèrent dans leurs élans sous le regard de quelque Corinne. Ce n’est pas à dire pour cela que le Portugal, et en particulier sa capitale, ne comptent pas d’écrivains distingués ; le pays qui a donné naissance à Gil Vicente, à Camoëns, à Macias, à Sà da Miranda, et à tant de chroniqueurs trop peu connus, compte encore des poètes, des auteurs dramatiques, des historiens, dont le nom se répandrait avec gloire hors de leur pays, s’ils avaient à leur service un idiome plus généralement étudié. Le public éclairé de Lisbonne applaudit avec enthousiasme les drames que M. Garrett puise dans la vie privée. M. Hercolano, s’inspirant aux vraies sources du passé, refait l’histoire de son pays sous une forme nouvelle ; M. de Juromenha prépare une édition des œuvres inédites de Camoëns, et le poète aveugle, M. Castilho, fait vivre dans ses beaux vers la langue vibrante et pompeuse des anciens ; mais le nombre des lecteurs est borné, et les écrivains portugais, ne l’oublions pas, ont à lutter contre l’envahissement des littératures française et anglaise, autant que contre l’indifférence de leurs concitoyens. Malgré leurs persévérans efforts, ils ne peuvent donc conquérir l’influence à laquelle ils auraient