Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/684

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce prince avait fait son entrée dans Madrid le 23 mars : Ferdinand fit la sienne le lendemain. La population avait gardé vis-à-vis de nos troupes une attitude silencieuse, mais convenable, et plus observatrice qu’hostile. Elle fit à son prince bien-aimé la plus bruyante des ovations, elle le reçut avec des trépignemens d’enthousiasme et une joie frénétique que la plume ne saurait décrire ; avide de le voir et de le toucher, elle se pressait en foule sous les pas de son cheval. Les femmes pleuraient d’émotion ; les hommes faisaient retentir les airs de leurs acclamations. Ces hommages s’adressaient à un jeune homme timide, d’une physionomie terne, dont une mère défiante et jalouse et un favori ambitieux avaient prolongé l’enfance ; mais les Espagnols, blessés dans leur orgueil par la présence des étrangers, se plaisaient à leur montrer dans Ferdinand le souverain de leur choix. C’était comme une manière de braver Murat.

Le soir même de ce jour, la foule des courtisans se pressait dans les appartemens du jeune prince. La plupart des membres du corps diplomatique, notamment le ministre de Russie, le traitèrent en roi. L’ambassadeur de France affecta au contraire de ne saluer dans Ferdinand que l’héritier du trône. « Prince, lui dit-il[1], vous n’avez qu’un seul parti à prendre dans ce moment, c’est d’aller présenter à l’empereur le prince des Asturies. — C’est bien là mon intention, » lui répondit Ferdinand.

La présence des vieux souverains à Aranjuez était pour leur fils plus qu’un embarras ; elle était comme une accusation vivante. Aussi était-il impatient de les éloigner. Il voulait les reléguer à Badajoz ; il leur avait signifié sa détermination, qui les avait remplis tous les deux d’indignation et de douleur. La reine avait crié, pleuré, conjuré son fils de renoncer à son dessein. Charles IV avait allégué son grand âge, ses rhumatismes, qui l’empêchaient, disait-il, d’aller vivre sous le climat humide de Badajoz. Rien n’avait pu fléchir Ferdinand. Leurs jours se passaient dans les plus cruelles angoisses. La présence d’un détachement de troupes françaises que Murat leur avait envoyé pour les protéger n’avait pu les rassurer : ils tremblaient pour eux ; ils tremblaient bien plus encore pour Godoy. Ils craignaient que Ferdinand, pour apaiser la colère du peuple, ne lui jetât la tête du favori tombé. Ils ne se lassaient pas d’écrire au grand-duc de Berg de veiller sur leurs jours et de sauver le prince de la Paix. La reine d’Étrurie, qui était venue chercher à la cour de son père l’indemnité promise à son fils par le traité de Fontainebleau, servait d’intermédiaire entre les vieux souverains et le grand-duc.

  1. Dépêche de M. de Beauharnais, Madrid, 25 mars 1808. (Dépôt des archives des affaires étrangères.)