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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/810

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moins ralentie dans sa marche et gênée dans ses mouvemens. En 1707, ce fut mieux encore. Le prince Eugène et le duc de Savoie, ayant à récompenser, dans leur retraite, quelques-uns de leurs régimens, les envoyèrent au pillage de Grasse. Ces troupes, au nombre de près de six mille hommes, se présentèrent le 28 août devant la ville ; elles trouvèrent les portes fermées et les habitans bordant la faible muraille qui leur servait de rempart. Dans le trouble que causait cet événement, un consul et un gentilhomme de la ville eurent l’imprudence de livrer une barrière à l’ennemi : loin d’en être abattu, le peuple redoubla d’énergie ; il se mit à barricader les rues ; les femmes montrèrent dans ces préparatifs une ardeur indicible ; on passa sous les armes toute la journée et toute la nuit. Néanmoins l’impossibilité de résister à une attaque de vive force était évidente ; on parlementa donc, et l’on offrit pour se racheter une contribution, en ajoutant qu’'à l’égard de l’entrée dans la ville, les hommes, les femmes et les enfans perdraient plutôt mille vies que de l’accorder. Les Impériaux répliquèrent : Nous voulons 20,000 livres, 10,000 bouteilles de Vatté, tout le vin et le pain dont nous aurons besoin, et un couvent de religieuses à discrétion. Cette insolence eut la réponse qu’elle méritait. Tandis que les habitans se préparaient à recevoir l’assaut, une division de nos dragons s’arrêtait au pont de Tournon sur la Siagne : avertie de ce qui se passait, elle remonta vivement à cheval, se porta sur la ville ; mais, aperçue de loin, elle ne fut pas attendue ; l’ennemi prit précipitamment la fuite, et les habitans, se joignant aux dragons, lui prirent ou lui tuèrent plusieurs centaines d’hommes. Au milieu de ces événemens, les paysans d’Auribeau, village situé à sept kilomètres au sud de Grasse, se distinguèrent entre tous. Dans la marche en avant de l’ennemi, ils avaient côtoyé pendant plusieurs lieues ses flancs à travers les bois et lui avaient tué deux cents hommes qui s’écartaient pour piller ; au retour, dans leur courage inexpérimenté, ils attaquèrent de front son avant-garde ; bientôt accablés par le nombre, ils se retirèrent sur la hauteur qu’occupe leur village et y tinrent ferme. A leur tête était leur curé, ancien soldat ; il leur fit comprendre que le village étant plein de dépouilles de l’ennemi, ils n’avaient, s’ils se laissaient forcer, aucun quartier à espérer. Investis par trois mille hommes, ils répondirent à coups de fusil aux sommations qui leur furent faites, et, après des démonstrations inutiles, l’ennemi se retira non sans de nouvelles pertes. Peu de jours après, ces mêmes Allemands, pour se dédommager des mécomptes qu’ils avaient éprouvés en Provence, saccageaient, de l’autre côté du Var, Lescarène et Sospello[1].

La vue dont on jouit des promenades de Grasse est une des plus belles

  1. Histoire du siège de Toulon, 1707.