Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désert fauve et ondulé, qui ressemble aux flots troubles du Nil, puis nous nous sommes mis en marche pour regagner le fleuve. Il était deux heures, et nous nous trouvions encore loin de notre barque. Je maudissais l’inexactitude des renseignemens donnés par Soliman, car c’est grace à cette inexactitude que nous avions fait la course à jeun. J’avoue qu’il m’a désarmé en me disant, avec une douceur assez digne et peut-être assez habile, qu’il avait eu tort, sans chercher d’autre excuse. Voilà ce qu’un guide italien et, j’en ai peur, un guide français n’eussent point dit. Toute ma colère est tombée devant cet aveu fait à propos, et j’y ai gagné de regarder ce qui m’entourait, au lieu d’être absorbé tout entier par l’occupation de gronder mon drogman. De pareilles préoccupations, dont on rit plus tard, ont distrait plus d’un voyageur des spectacles les plus curieux. Le tableau qui s’est offert à moi quand j’ai retrouvé mon calme était assez intéressant : Soliman m’a montré le campement d’une tribu qui est venue de Syrie, chassée par la disette. C’est exactement l’histoire d’Abraham. Le chapitre de la Genèse était là ; rien ne manquait à la scène biblique, ni les chameaux accroupis devant les tentes, ni les troupeaux paissant alentour. J’étais tenté, pour compléter l’illusion, d’essayer de l’hospitalité patriarcale, vertu qu’en ce moment j’aurais fort appréciée ; mais nous approchions du Nil, nous sommes enfin arrivés et nous avons pris, à quatre heures, notre premier repas. Je ne me plaignais point ; j’avais vu la pyramide de Meydoun, étudié sa structure, relevé ses rares hiéroglyphes, et je m’étais convaincu par mes yeux que la fausse pyramide était une pyramide véritable, que la pyramide menteuse ne mentait point.[1]

Quant à la théorie de M. Lepsius sur la construction des pyramides, théorie qui a été combattue par un architecte anglais distingué, je dois dire que l’examen de la pyramide de Meydoun lui est favorable ; mais l’auteur ne la généralise-t-il pas outre mesure, et peut-on être sûr qu’elle doive s’appliquer à toutes les pyramides ?

3 janvier.

Nous sommes près du Fayoum, célèbre dans l’antiquité par ses vignes, par le lac Moeris et le labyrinthe. Aujourd’hui la culture de la vigne a disparu de l’Égypte. Cependant on vantait du temps des Romains le vin de Coptos, de Mendès, de Maréotis. Hérodote affirme qu’il n’y a pas de vignes en Égypte ; mais on ne peut douter que le vin n’y fût connu bien avant lui. Les peintures des tombeaux qui entourent les pyramides montrent des hommes occupés à presser le raisin. Le vin joue un grand rôle dans les offrandes aux dieux si fréquemment

  1. Le noyau de la base est peut-être formé par le rocher recouvert d’une maçonnerie. En ce sens, la tradition aurait à moitié raison. — Vylse, Pyramids of Giseh, III, app. 79.