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représentées sur les monumens. A côté des vases qui le contiennent, on lit en hiéroglyphes le mot erpi, vin, qui s’est conservé en copte et que les Grecs connaissaient déjà.

C’est dans cette partie de l’Égypte qu’étaient le fameux labyrinthe, dont les ruines viennent d’être retrouvées par M. Lepsius,[1] et le lac Moeris, dont l’emplacement a été reconnu par M. Linant.[2] Avant lui, on s’obstinait à chercher un lac dans un lac, le lac Moeris dans le Birket-et-Korn des modernes. M. Linant a compris que, pour que le lac Moeris pût déverser ses eaux dans la plaine qui borde le Nil, il ne devait pas être enterré dans un fond, mais situé sur un terrain plus élevé que cette plaine. M. Linant a reconnu et suivi les contours de la digue qui entourait le réservoir gigantesque, et, après avoir reconstitué en esprit ce grand ouvrage, il a conçu la pensée hardie de le rétablir. Il a proposé à Méhémet-Ali de refaire l’œuvre des Pharaons ; mais Méhémet-Ali veut atteindre un but semblable par une œuvre dont la pensée lui appartient, par le barrage du Nil.[3]

Pendant que je pensais au roi Moeris, à son lac et à son labyrinthe, la nuit approchait. Le calme durait toujours. Les matelots se servaient, pour faire avancer la barque, de longs bâtons qu’ils appuyaient sur un fond de sable et de rocher, comme on le voit dans les anciennes peintures égyptiennes.

Les rayons du soleil sont presque horizontaux, le ciel devient magnifique. Le dieu Horus mérite bien son nom hiéroglyphique d’Horus d’or. Le couchant est une fournaise d’or fondu ; les palmiers ont un tronc d’or, un feuillage d’or. A travers cet éblouissement, on aperçoit les teintes violettes des collines. Le ciel et le Nil se peignent tour à tour de rose et d’améthyste, puis la lumière se retire. Les rochers de la rive arabique sont d’un blanc triste, et, en voyant des buffles qui s’avancent dans le fleuve pour y boire, nous nous rappelons vivement ces soirs du Nil aux ténèbres transparentes et aux clartés vagues que rend si bien le pinceau de Marilbat.


4 janvier.

Nous sommes dans les mauvais jours d’une navigation sur le Nil. Point de vent ; les matelots traînent la barque, et la traînent avec une

  1. Cette découverte de M. Lepsius a fait connaître quel était le roi égyptien que les Grecs ont désigné par le nom de Mœris. Champollion pensait que c’était Thoutmosis III, de la 18e dynastie, celui dont le nom est gravé sur l’obélisque d’Alexandrie, et que je crois, d’après cette inscription, avoir achevé l’expulsion des peuples pasteurs ; mais M. Lepsius ayant trouvé un nom plus ancien, celui d’Amenmehé III, partout gravé sur les ruines du labyrinthe, il a été démontré que c’était à cet Amenmehé III que les Grecs ont donné le nom de Moeris.
  2. Mémoire sur le lac Moeris, par Linant de Bellefonds. 1842.
  3. Les travaux de ce barrage, assez long-temps différés, sont aujourd’hui en pleine activité.