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les monumens par les symboles les plus expressifs, mais sans intention licencieuse, cet ancien culte de la nature et de la vie n’a laissé que trop de traces dans les réjouissances populaires des Égyptiens modernes, et surtout dans leurs danses. L’extrême indécence de celles auxquelles se livrent si volontiers les matelots du Nil[1] s’explique peut-être historiquement par une origine sacrée et un symbolisme, sinon très spiritualiste, au moins sérieux, dont les signes extérieurs subsistent, mais dont le sens à coup sûr est perdu.


7 janvier.

La barque de nos amis ne nous a pas rejoints hier ; la nôtre marche mieux : il faut donc un peu de bonne volonté pour pouvoir se retrouver le soir. Soliman a mis dans sa tête de nous séparer ; il y a réussi pour aujourd’hui. Soliman sait merveilleusement s’y prendre pour nous faire faire sa volonté. Souvent j’admire ses savantes combinaisons et les détours infinis par lesquels il arrive à son but. Soliman me fait comprendre ces Orientaux qui, sortis des rangs inférieurs de la société, sont devenus des ministres habiles. Avec l’adresse qu’il déploie pour les petites choses, il aurait pu faire marcher les plus grandes ; il y a l’étoffe d’un diplomate dans ce Figaro arabe.

A peine levés, nous mettons pied à terre, et nous allons dans un bois de palmiers respirer la fraîcheur fugitive du matin. Des femmes s’acheminent vers le fleuve, portant sur leur tête des vases à base très étroite qui ressemblent à des amphores. Les tourterelles roucoulent sur les arbres. Un homme parle très haut à un paysan, et semble le menacer ; c’est un collecteur qui réclame l’impôt. Soliman nous dit : D’abord on paie pour la terre, puis on doit tant d’œufs pour chaque poule, tant de beurre pour chaque femelle de buffle. Les femmes sont bien heureuses, elles ne paient rien. Il y a quatre ou cinq ans, elles payaient par jour cent vingt petits cordons de laine filée. Cet impôt a été aboli depuis l’établissement des manufactures. — Les manufactures auront donc été bonnes à quelque chose. Nous rencontrons des gens qui tirent de l’eau. — Ils ont tort de travailler, dit froidement Soliman. — Pourquoi ? — Voyez-vous ce champ, c’est de l’orge ; eh bien ! quand l’orge aura été recueillie, la paille d’un côté, le grain de l’autre,… on la prendra. »

Enfin voilà un monument égyptien et des hiéroglyphes. Ce monument n’est pas bien considérable, c’est une chapelle creusée dans le roc ; le lieu s’appelle Babayn, les deux portes, et ne doit pas ce nom, je pense,

  1. Ces danses sont, je crois, fort semblables à celles qu’exécutaient les mimes dans la Rome impériale. Il est à remarquer que le plus célèbre d’entre eux, Bathylle, était égyptien.