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à la double entrée d’un portique maintenant détruit, comme le veut M. Wilkinson, mais bien à deux grandes ouvertures taillées dans le roc, et qui sont comme des portes gigantesques. J’ai demandé à M. Durand de les dessiner. La scène représentée sur les parois du rocher retrace, comme c’est l’ordinaire dans les chapelles et dans les temples, des offrandes faites à diverses divinités. Ici l’offrant est Menephta II, fils et successeur de Sésostris.[1]

Après avoir copié tout ce que j’ai pu lire des inscriptions hiéroglyphiques du spéos,[2] je n’ai pas dédaigné une autre inscription gravée sur le rocher en petits caractères, et dont les inégalités de la pierre rendent la lecture assez difficile. Cependant, avec un peu de patience, je suis parvenu à m’assurer du sens de l’inscription. Elle contient les noms d’une famille qui paraît avoir été vouée à Ammon. Cette famille se composait d’un prêtre de ce dieu, d’un autre personnage prêtre d’Ammon et de Phta, d’une femme qui était l’épouse de l’un et la mère de l’autre. La femme est dite habitante de la grande demeure d’Ammon. On a soin de mentionner que sa mère, sa grand’mère, son aïeule et sa bisaïeule étaient consacrées à diverses divinités. J’ai transcrit avec assez de peine cette inscription négligée par mes devanciers, car j’attache toujours un grand prix à ce qui me fait pénétrer dans les détails de la vie privée chez les anciens Égyptiens. Ici je vois les membres d’une famille vouée au culte d’Ammon, qui viennent écrire pieusement leur nom à la porte de ce petit temple. En présence de ces cinq générations de femmes consacrées à la divinité, j’imagine quelque chose de semblable aux saintes femmes de la famille d’Arnaud ou de Racine à Port-Royal.

On n’ose rien signaler à l’admiration des voyageurs, car c’est exposer ce qu’on cite à être détruit. M. Wilkinson avait loué avec raison deux jolis chats placés dans un bas-relief coloré aux pieds de la déesse Athor. Cette louange a été funeste à l’un d’eux. Un touriste, découvrant dans le livre de M. Wilkinson le mérite de ce qu’il avait sous les yeux, a volé l’animal sacré. L’autre chat, qui faisait le pendant du premier, reste encore. Peut-être, en disant à mon tour qu’il est dessiné avec beaucoup d’esprit, je l’expose au même sort que son compagnon ; mais, si je dois être ainsi la cause innocente du mal, je me donne au moins la consolation de maudire d’avance celui par qui le mal arrivera. Comme l’a dit M. d’Estourmel, mutiler les monumens de l’Égypte, ces monumens qui sont des livres, c’est recommencer à la fois Érostrate et Omar. J’aime à citer ce spirituel voyageur, qui sait donner aux récits les plus fidèles tout le piquant de la meilleure conversation. Je sais par une expérience

  1. J’ai indiqué ailleurs (lettre à M. Villemain, Journal de l’Instruction publique, 22 mars 1845) ce qui m’a semblé une erreur de. M. Wilkinson, qui voit les noms de deux rois là où je n’ai pu voir que le nom et le prénom bien connus de Menephta II.
  2. Temple-grotte creusé dans l’intérieur d’un rocher ou d’une montagne.