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de porter les morts à leur dernier asile dans une barque, au milieu des hurlemens des femmes qui répandent de la poussière sur leurs cheveux, présente un tableau tout égyptien et que reproduisent souvent les anciennes peintures funèbres. A certains jours de l’année, les habitans de Miniéh vont visiter les sépultures. A côté de chaque tombe est une petite chambre surmontée d’un dôme, qui rappelle les chambres funéraires creusées dans le roc. Nous avons donc ici une véritable nécropole moderne, analogue aux nécropoles antiques de l’Égypte, et qui nous montre les vieux rites funèbres se continuant au sein d’un autre âge et d’une autre religion.


11 janvier.

La journée d’hier était brûlante, comme nous l’avons bien senti en errant dans les carrières de Koum-el-Ahmar. Aujourd’hui je me réveille avec un sentiment de froid. Avant le lever du soleil, de magnifiques teintes rouges annonçaient un jour très chaud, puis le ciel s’est couvert de nuages. A l’horizon se montrent des teintes grises qui semblent annoncer la pluie. Les palmiers sont comme dépaysés depuis que la lumière ne joue plus entre leurs feuilles ; ils semblent avoir changé de forme et de couleur : on dirait des arbres du Nord. Nous traversons une embouchure de canal embarrassée de troncs renversés. Les matelots descendent dans l’eau ; leurs membres noirs grelottent. Puisque je retrouve encore une fois en Orient l’impression du Nord, je vais lire le Divan de Goethe pour que le Nord me rende l’Orient.

C’est après Miniéh qu’on commence à voir des crocodiles. Un peu au-dessus de la ville est le tombeau d’un santon qui leur a défendu de passer outre, et ils obéissent. Avant que le santon eût prononcé son arrêt, les crocodiles descendaient beaucoup plus bas, car, vers le temps d’Alexandre, des crocodiles dévorèrent plusieurs soldats à l’embouchure du Nil. D’autres animaux, tels que l’hippopotame, qu’on voyait autrefois en Égypte, ont remonté vers le sud, et ne se trouvent plus aujourd’hui qu’en Abyssinie. M. Caillaud n’a rencontré qu’en Nubie l’ibis noir et le scarabée sacré, objets du culte des anciens Égyptiens. L’apparition des crocodiles est un incident notable dans le voyage du Nil. Dès ce moment, on est aux aguets pour les découvrir sur les îlots de sable, où ils gisent au soleil, semblables de loin à des troncs d’arbres mal équarris. Les études importantes de Geoffroy Saint-Hilaire sur ces terribles reptiles donnèrent aux Anglais l’idée de représenter dans une caricature ce savant illustre apprivoisant des crocodiles. C’était, du reste, un art connu dans la haute antiquité. Les Tentyrites y excellaient. Il y avait chez les Romains des mansuetarii qui se baignaient impunément au milieu des crocodiles. Nous pouvons le croire ; nous avons bien vu d’autres mansuetarii, Martin et Carter, jouer avec des tigres et des lions.