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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/231

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bientôt cesser de souffler, nous avons eu le courage de passer sans nous arrêter devant les curieuses grottes de Beni-Hassan, et de remettre à notre retour la visite que nous leur devons. Aujourd’hui le calme me permet de m’arrêter à Syout et de voir des hypogées bien moins conservés que ceux de Beni-Hassan, mais précieux pour moi en raison de leur délabrement même qui les a fait négliger par Champollion et par Nestor L’Hôte. J’ai d’abord visité la plus grande des grottes funèbres. Ce devait être une magnifique sépulture, à en juger par ses dimensions et par la grace des ornemens dont on aperçoit les restes ; aussi appartenait-elle, comme je m’en suis assuré, à un personnage important qui joignait à plusieurs titres bien connus un titre plus rare et que je ne me souviens pas d’avoir rencontré jusqu’ici : c’est celui de prêtre du Nil supérieur. Le Nil supérieur avait donc des prêtres spécialement consacrés à son culte. Ce culte était bien placé à Syout, qui est aujourd’hui la capitale de l’Égypte supérieure. Dans une autre grotte, j’ai trouvé deux fois le nom de la ville écrit en hiéroglyphes, Ci-ou-t.[1] Ce nom fait partie d’une inscription qui contient aussi un cartouche royal ancien, ce qui prouve que le nom actuel de la ville remonte aux vieux temps pharaoniques.

Je suis revenu de ma course aux hypogées seul sur mon âne, demandant comme je pouvais mon chemin en arabe. Je suivais des haies verdoyantes et des allées de saules un peu jaunis. La douceur de la température et l’aspect du pays me rappelaient la France, mais la France de septembre et non celle de janvier.


15 janvier.

Délicieuse journée de paresse que j’ai passée presque tout entière à l’orientale, couché sur des coussins, fumant le narguilé, buvant de l’orangeade et déchiffrant en arabe les aventures de Sindbad le marin ! On me montre en passant un village dont les habitans ont servi d’exemple à quiconque oserait toucher aux voyageurs. Une barque qui portait des Anglais avait été pillée, les passagers massacrés. Quarante habitans du village périrent dans les supplices. Il y eut sans doute bien des innocens frappés ; il est douloureux de penser que c’est à de pareilles barbaries que nous autres voyageurs, qui, après tout, pourrions bien rester chez nous, devons de pouvoir glisser paisiblement sur le Nil en regardant le ciel et en fumant notre narguilé comme je le fais aujourd’hui.

Après un vrai jour d’Égypte, voici un soir qui est presque un soir du nord. Des nuages se montrent à l’horizon ; la lune sort de leurs flancs noirs telle qu’une lune d’Ossian, et laisse tomber sur l’eau sombre des lames d’argent pareilles à celles qui brillent sur un cercueil.

  1. Et non ssout, comme lit M. Wilkinson, t. II, 85. Le canard doit se prononcer ci.