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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/254

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qu’on exploite avec une habileté perfide, et qui empêcheront long-temps encore l’union des deux peuples, cette union si désirable pour la liberté européenne. Pourquoi donc ne pas ouvrir nos rangs à l’éloquent rédacteur des Annales de Halle, au disciple d’une école qui a résumé les prétentions les plus hautaines du génie germanique ? C’est là une conquête importante. Que son pays se plaigne, rien de mieux ; pour nous, avons-nous le droit de lui adresser ces reproches ? est-ce à nous de lui prêcher l’amour de l’Allemagne ? Oui, c’est à nous que ce droit appartient, car de telles œuvres irritent le sentiment national chez nos voisins et éloignent le jour de la réconciliation. Ce n’est pas tout : cette haine pour son pays va se changer en un système, et, après avoir désavoué sa patrie, il nous enseignera à nous-mêmes que nous devons désavouer la nôtre. Avais-je tort de me défier de sa passion subite pour la France ? Hélas ! je ne me trompais pas, et M. Ruge, d’ailleurs, n’a pas voulu entretenir long-temps l’illusion de ceux que son enthousiasme avait pu séduire. Remercions-le d’avoir été si sincère. Au milieu des études diverses que lui inspira son séjour à Paris et qu’il a loyalement reproduites dans son curieux ouvrage, il y a tout un traité sur le patriotisme. Encore une fois, tenons-lui compte de sa franchise ; désormais il n’y a plus d’équivoque possible ; nous savons ce que M. Ruge aime dans notre France et à quelles conditions il change de patrie.

Ce traité est décisif. L’auteur y combat le patriotisme avec une fureur qui révèle toute sa pensée. Ce n’est pas seulement le patriotisme germanique, l’emphase burlesque des teutomanes, que M. Ruge attaque si résolûment. Je comprendrais cette polémique dirigée contre MM. Menzel et Léo. Encore sur ce point faudrait-il bien s’entendre ; car, si les théories hypocrites qui confondent la patrie avec le moyen-âge féodal et brouillent à plaisir les idées du peuple sont insupportables à tous les cœurs droits, comment oublier que la vraie patrie allemande désormais est l’Allemagne moderne, l’Allemagne des penseurs et des poètes, celle qui a fondé son unité dans l’ordre des intérêts intellectuels avant de l’établir dans les faits, et qui ne regrette pas Barberousse ? Louis Boerne, qui a livré de si rudes et de si brillans combats à la teutomanie, n’a jamais commis la faute de confondre des choses si différentes. Il a attaqué le faux patriotisme au profit du vrai. L’auteur des Couches politiques, M. Prutz, a écrit sur ce sujet une scène fort spirituelle que Louis Boerne eût applaudie avec joie. Le poète, très bien inspiré cette fois, introduit dans son drame un personnage suspect qui célèbre avec beaucoup d’onction et de componction cette Allemagne si adorée des romantiques, la vieille Allemagne d’Arminius ou de Frédéric Barberousse. Heureusement son interlocuteur complète la définition et lui crie avec une verve impétueuse : « La patrie