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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/284

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temps de s’établir dans la nouvelle condition qui lui était permise. Le 17 janvier 1650, il fut arrêté, avec son frère et son beau-frère de Longueville, pour garder prison, à Vincennes d’abord, puis à Marcoussis, ensuite au Hâvre, d’où il ne sortit que le 13 février 1651. Or, c’est justement ce temps de captivité, cette année 1650, que les biographes ont choisis pour lui donner un hôtel et du loisir, afin qu’il pût recevoir chez lui son ancien camarade de collége devenu comédien, y faire jouer sa troupe plusieurs fois, et lui assigner, maintenant avec toute sûreté, rendez-vous en cette province de Languedoc dont nous voyons qu’il s’approchait fort. Et cette grossière bévue n’a pas d’autre but, en effet, que de ne rien perdre de Grimarest, tandis que Lagrange et Vinot nous disaient si bien, si nettement, que depuis son départ de Paris, après le mauvais succès de « l’Illustre-Théâtre, jusqu’à son retour, en 1653, Molière n’avait pas cessé de courir les provinces ! »

VI. 1653. — Ici nous avons, toujours par Lagrange et Vinot, des nouvelles certaines de Molière. « Il vint à Lyon en 1653, et ce fut là qu’il exposa au public sa première comédie ; c’est celle de l’Étourdi. » D’où venait-il ? Nous n’en savons rien ; du dernier lieu sans doute où il avait trouvé à monter un théâtre, comme il faisait, ici et là, depuis sept ans. Mais ce qui rend son séjour à Lyon plus remarquable, ce qui fait que ses biographes discrets, mais intelligens, l’ont avec raison signalé, après avoir omis tous les autres, c’est que là, à l’âge de trente-un ans révolus, le comédien de campagne se déclara pour la première fois auteur dramatique. L’Étourdi, nous le connaissons, au moins par le texte qui en fut imprimé seulement dix ans après, en 1663. Pour ceux qui voudront, et cette tâche n’est pas la nôtre, étudier les développemens du génie de Molière, il faudra se rappeler que cet ouvrage n’est pas le début hâtif d’un jeune cerveau, mais l’essai réfléchi d’un talent qui a hésité long-temps à se produire. Du reste, et ceci regarde notre travail, il est impossible d’y rien découvrir qui ait trait aux mœurs du temps, aux événemens historiques, à la physionomie particulière d’une époque. La seule moquerie épisodique que l’on en puisse tirer ne s’adresse pas plus loin qu’aux officiers subalternes de justice, avec qui les comédiens de campagne avaient souvent affaire (acte IV, scène VII).

VII. De 1653 à 1658. — Molière était arrivé à Lyon en 1653. Il y donna l’Étourdi, peut-être la même année. Voici maintenant un témoin qui affirme l’y avoir vu et en être parti avec lui. Ce témoin est passablement mal famé, il y a un peu à rougir en l’écoutant ; mais enfin c’est le seul homme au monde qui se soit vanté par écrit d’avoir rencontré en son chemin le Molière de 1646 à 1658, le Molière comédien de campagne, cette figure courant tant de pays pour être regardée, et dont il n’est resté nulle part de souvenir. D’Assoucy (car il s’agit ici de ce joyeux épicurien que Chapelle a rendu infâme, que Boileau a écrasé d’un de ses vers) raconte donc, dans le récit de ses Aventures, que, s’étant mis en route pour aller de Paris à Turin, il prit le coche d’Auxerre, gagna Châlons, et descendit la Saône jusqu’à Lyon. Malheureusement il commence son livre par déclarer qu’il ne se rappelle pas bien « si ce fut en 1654 ou en 1655, » ce qui le rend, comme on voit, un guide assez incommode. Cependant, en suivant ses marches, ses séjours, ses disgraces, jusqu’à ce qu’on trouve une date, il n’est pas possible de douter que son départ de Paris n’ait eu lieu dans l’été de 1655. Arrivé à Lyon, suivant toute apparence, vers le mois de juillet, « ce qui m’y charma