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de tendances réactionnaires, — l’absolutisme insurgé contre un acte d’absolutisme, — la dictature issue d’un programme de décentralisation. Oubliez toute méthode, puisque la méthode est impuissante ; substituez aux vues d’ensemble l’étude capricieuse des détails, à la logique inaperçue des événemens la logique des caractères, et alors seulement beaucoup d’apparentes anomalies trouveront leur raison d’être dans ce chaos de mœurs à la 93 entées sur l’engouement du passé.

Cette patiente décomposition de l’Espagne révolutionnaire, jour par jour, homme par homme, le pamphlet indigène l’a déjà faite à moitié. Le pamphlet, — et je ne parle pas des dévergondages haineux qui ont usurpé ses franchises, mais bien de ce pamphlet qui s’appela tour à tour les Lettres persanes, les Lettres d’Amabed, l’Homme aux quarante écus, de celui que rajeunit Paul-Louis dans sa Pétition des villageois, et que M. de Cormenin a parfois ressaisi en quelques pages clairsemées de ses trop nombreux petits livres, — le pamphlet, ainsi compris, où serait-il mieux, dites-moi, qu’en pleine eau cervantesque ? Le génie espagnol, si prompt à médire, mais si lent à se passionner, excelle dans cette délicate anatomie des vices ou des ridicules sociaux qui n’est ni histoire ni libelle, ni dogmatique ni haineuse, ne violentant jamais le libre arbitre des lecteurs, maintenant tout, hommes et choses, dans ce demi-jour indulgent qui, à vrai dire, est la plus sûre condition de perspective pour notre pauvre nature, où rien n’est absolument bon, absolument mauvais. Don Quichotte reste un héros, presque un sage, sous l’immortelle ironie qui le couvre. L’école picaresque, dont chez nous l’auteur de Gil Blas a si heureusement imité la touche, nous laisse un fonds d’estime pour ses plus insignes coquins. Transportez dans la vie politique cet éclectisme serein que tout frappe et que rien n’émeut, impassible miroir où chaque événement, chaque passion, viennent se refléter avec les teintes du lieu et de l’heure, et la satire, désarmée de ce procédé menteur qui ne met en saillie que les ombres, deviendra tout bonnement vérité. Cette impartialité native, qui vaut bien, on en conviendra, l’impartialité calculée des historiens, trouve un aliment de plus dans les vicissitudes sociales de l’Espagne. Chez nous, pays déjà vieilli dans les idées nouvelles, où le tassement des révolutions et des années a mis chaque chose à sa place, où tout intérêt relève d’un code, toute conviction d’un système, toute intelligence d’un drapeau, le pamphlet a toujours, quoi qu’il fasse, un parti à ménager aux dépens d’un autre : il ne montre qu’une face de la médaille. En Espagne, où rien n’est encore ni fondé ni détruit, où les opinions s’effacent à force de se subdiviser, où les partis, les fractions de parti se succèdent comme l’éclair, sans laisser de trace dans les rancunes ou les affections du pays, le pamphlet a pu garder son entière indépendance ; tout passe à tour de rôle dans son kaléïdoscope railleur. Je traduirais cette différence