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de nombreuses guadañas[1] aux voiles blanches, se détourne avec tristesse de la ville, sur laquelle plane sans cesse la mortelle influence du vomito, représentée par des essaims de vautours noirs, hôtes habituels des rues désertes de Vera-Cruz. Le 9 mars 1847 au matin, un seul bâtiment était à l’ancre dans la rade : c’était un paquebot à vapeur anglais ; dans le lointain, près de l’île des Sacrifices, la mâture et le gréement de quelques navires tranchaient sur le fond bleu du ciel. C’étaient les deux bricks français le Pylade et le Mercure, les navires espagnols Luisa Fernanda et Nervoin, et le brick anglais Daring, spectateurs de la lutte qui allait s’engager. Plus loin encore, on devinait plutôt qu’on ne voyait les mâts serrés des navires américains mouillés à San-Anton Lizardo, et qui n’attendaient qu’un signal pour entrer en lice.

Vers le milieu du jour, la scène changea : le tambour se fit entendre dans la ville et dans le château, les terrasses et les plates-formes se couvrirent d’une foule agitée ; le bateau à vapeur anglais se préparait à lever l’ancre ; sur le pont du paquebot, d’élégans touristes, des femmes surtout, l’ombrelle et la lorgnette à la main, attendaient avec impatience le combat, qui leur promettait un de ces spectacles exceptionnels si recherchés par la nation anglaise. Les mâts éloignés des navires américains se couvraient de toile et s’avançaient lentement, sous la brise du matin, dans la direction de l’île des Sacrifices. A deux heures, l’escadre de débarquement jetait l’ancre près de cette île. Sept bâtimens de guerre, frégates, bricks à vapeur et à voiles, sur deux desquels étaient arborés les drapeaux du général Scott et du général Worth, commandant les troupes de débarquement, composaient l’escadre de siège. Le mouillage n’était pas encore terminé, quand un coup de canon, parti du vaisseau amiral le Massachussett, donna le signal de l’attaque. Une nombreuse flottille d’embarcations couvrit bientôt la mer. En ce moment, le steamer anglais alla rejoindre, près de l’île des Sacrifices, les bâtimens anglais, français et espagnols, condamnés à rester spectateurs de l’action. Une demi-heure s’était à peine passée, et déjà le drapeau américain flottait sur une hauteur voisine du rivage, entouré d’un régiment qui rendait les honneurs militaires au pavillon étoilé. Deux autres collines venaient d’être pavoisées comme la première, quand la nuit vint interrompre le débarquement. Le lendemain, le littoral de Vera Cruz se couvrit encore de soldats que transportaient incessamment les embarcations des navires à l’ancre. A neuf heures, un parti de cavalerie mexicaine, protégé par les canons de la ville, battait la plaine autour des collines occupées par les Américains, et les équipages des vaisseaux

  1. Petites embarcations à voiles latines en forme de faux, d’où leur vient le nom de guadaña (faux).