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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/498

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s’ouvrent, ont pris une intelligence ; il redoute presque de leur confier le secret qu’ils semblent lui demander. La nature s’adoucit et devient sympathique. Dans la verte solitude, le jeune homme trouve une demeure plus chérie qu’au milieu des hommes.

« Contemplez le beau fou au milieu des bois ! il se dilate, il est deux fois un homme. Il se promène les bras étendus ; il fait des soliloques ; il accoste le gazon et les arbres ; il sent dans ses veines le sang de la violette, du lis et de l’herbe des prairies ; il babille avec le ruisseau qui mouille ses pieds. »


Quand on a suivi Emerson à travers ces mille digressions auxquelles une pensée unique sert de lien, on se demande quel rôle pourrait jouer cette philosophie dans le mouvement actuel des idées européennes. Il semble qu’elle offre des argumens précieux contre certains systèmes démocratiques qui se sont produits dans ces dernières années. Ces systèmes tendent singulièrement à nier l’individu ou du moins à l’absorber au sein des masses et à l’y laisser oublié. Ses droits, on les lui arrache ; son caractère, on semble le redouter, et son génie, on paraît l’envier. Après la destruction des aristocraties politiques qui s’intitulaient telles par droit divin et origine lointaine, il semble qu’on veuille détruire les aristocraties du caractère et du génie, qui, bien plus que les premières, tiennent leur puissance de Dieu et ont une origine inconnue et mystérieuse. On prend soin, dans ces sortes de théories, de rendre non pas les hommes égaux par l’égalité des droits, mais de rendre l’existence de chacun égale à celle de tous. Toutes ces doctrines font à la question de droit une si large part, que la question de devoir y disparaît presque entièrement. Le devoir est pourtant la seule chose qui distingue l’individu et le sépare des masses ; les droits sont communs à tous, mais le devoir varie presque avec chacun selon sa position. Sans le devoir, plus de luttes, d’efforts, plus de tous ces élans qui marquent l’individu d’un signe glorieux ; plus de vertus, on l’en dispense dans la plupart de nos théories. Le devoir une fois effacé, toutes ces choses qui font le caractère et sont l’œuvre de la volonté individuelle disparaissent. À tous on fait la vie égale, c’est-à-dire qu’on organise la société de telle manière que l’individualité de chacun s’efface et qu’il ne reste plus que des groupes de capacité, des associations, et dans des systèmes plus récens des masses qui imposent à l’individu leurs sentimens et l’absorbent violemment au sein d’une fraternité peu tolérante. Veut-il avoir sa liberté et penser à sa manière sur les choses qui intéressent sa conscience ; veut-il travailler selon ses inclinations naturelles et sans reconnaître à la société le droit de lui imposer son genre de travail ; revendique-t-il lui-même la récompense de son travail, la distinction et surtout la gloire : il est taxé d’individualisme. Nous ne voulons pas prendre les choses à un point de vue poétique et dire qu’une société qui arriverait à méconnaître le génie et le caractère,