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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/511

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dans ce chaos, en divisant sa collection des meilleures anciennes romances espagnoles[1] en quatre parties, à savoir : 1° les romances historiques, qui sont de beaucoup les plus nombreuses et dont notre Corneille, aussi éminent critique que grand poète, a dit excellemment dans la préface du Cid : « Ces sortes de petits poèmes sont comme des originaux décousus de leurs anciennes histoires. » Elles commencent, en effet, au siège de Numance, et continuent ensuite, sans interruption, depuis le roi don Rodrigue et la Cava, jusqu’à la reprise de Grenade sur les Mores par les deux rois Ferdinand et Isabelle ; 2° les romances chevaleresques, c’est-à-dire tirées des traditions de la chevalerie fabuleuse, principalement de celles du cycle de Charlemagne, qui seules ont été populaires en Espagne ; 3° les romances moresques, traduites ou composées à l’imitation des chansons arabes ; 4° enfin, les romances sur des sujets divers, la plupart de guerre ou d’amour, mais dont le lieu, la date ou les acteurs ne nous sont pas bien connus. Récemment M. Depping a fait paraître à Leipsig une réimpression de son excellent travail, fort augmenté et amélioré. Dans l’intervalle, les divisions qu’il avait introduites dans son romancero servirent, en grande partie, de modèle aux éditions subséquentes, notamment à celles qui furent publiées à Madrid par don Agustin Duran[2], à Paris par don Eugenio Ochoa[3]. M. Damas Hinard a suivi le même plan, tout en conservant une grande liberté dans le choix et le classement des pièces. Il nous promet de publier le texte de son romancero ; nous souhaitons vivement qu’il accomplisse cette promesse.

Certes, il est impossible d’avoir, pour étudier le génie d’un peuple, un guide plus sûr que ces divers recueils de chants nationaux, aussi anciens que la langue elle-même, continués, augmentés, rajeunis chaque jour ; source de poésie constamment jaillissante, écho de toutes les confidences, de tous les préjugés, de toutes les admirations d’un peuple plein d’ouverture de cour et d’expansion. Le vrai caractère de la nation espagnole, la gravité, la sincérité, la bravoure, le respect de la parole donnée, éclatent dans chacune de ces pièces composées par elle ou pour elle, surtout dans les plus anciennes ; mais ces dons naturels n’ont-ils pas été quelque peu faussés et altérés, depuis le XIIIe siècle, par l’affectation que la chevalerie romanesque introduisit alors chez presque toutes les nations de l’Europe ? La bravoure castillane a-t-elle dégénéré, comme celle de France et d’Angleterre, en jactance peu sérieuse, en provocations sans motifs, en combats envers et contre tous ? L’amour espagnol naturellement vrai, profond, impétueux, qui n’admet ni fiction

  1. Sammlung der besten Spanischen, historischen, ritter und Maurischen Romanzen. Altenburg und Leipsig ; Brockhaus, 1817, in-12.
  2. Cinq volumes in-8o, 1823-1832.
  3. Tesoro de les romanceros, etc. 1 vol. grand in-8o de la collection Baudry.