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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/512

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ni partage, s’est-il changé en rêveries platoniques, en galanterie froide et frivole, ou en sigisbéisme discret ? Interrogeons les romances. Nous connaissons assez à présent leur nature et leur origine pour avoir confiance en leur réponse. Rien de ce qui n’est pas entré profondément dans les romances n’a eu de véritables racines dans les mœurs de l’Espagne.


IV.

On rencontre sans doute un très grand nombre d’appels et de combats singuliers dans les romances. Ces sortes de combats étaient, au moyen-âge, une conséquence de la manière de faire la guerre et résultaient de la nature des armes. Alors une bataille rangée n’était guère qu’une réunion de combats particuliers. Mais, si les défis et les duels sont fréquens dans le Romancero, presque tous ont une cause grave, pressante, légitime, que la raison de l’époque avoue et justifie, témoin le fameux duel de Rodrigue :


« … Vous avez porté la main sur mon père, avec fureur, devant le roi. Songez que vous l’avez outragé et que je suis son fils.

« Vous avez fait une mauvaise action, comte ; je vous défie comme traître, et voyez si, lorsque je vous attends, vous me causez quelque peur. Diègue Laynez m’a bien purifié dans son creuset. Je prouverai sur vous, sur votre cœur lâche et faux, la pureté de ma noblesse. La hardiesse que vous donne votre habileté dans les combats ne vous servira de rien, car j’ai pour me battre mon épée et mon cheval. »


Ajoutons que, dans les duels qui se rapportent aux Xe et XIe siècles, on remarque plus de férocité que de courtoisie chevaleresque. Lisez les détails qui suivent la provocation de Rodrigue :


« Ainsi parla au comte Loçano le brave Cid Campeador, qui depuis mérita ce titre par ses hauts faits. Il donna la mort au comte et se vengea, puis il lui coupa la tête, et, avec-elle, s’agenouilla, content, devant son père[1]. »

Cette tête tranchée et déposée sanglante aux pieds de don Diègue est le sujet d’une autre romance assez longue où aucune circonstance n’est oubliée :

« Diègue Laynez pleurant se tenait assis devant sa table, inondé de larmes amères et pensant à son affront. Et le vieillard agité, l’esprit toujours inquiet, faisait déjà lever de ses craintes honorables toutes sortes de chimères, lorsque vint Rodrigue avec la tête du comte coupée, qu’il tenait par la chevelure, ruisselante de sang.

« Il tire son père par le bras, le fait revenir de sa rêverie, et, avec la joie qu’il

  1. M. Damas Hinard, Romancero, t. II, p. 13 ; M. Depping, Romancero Castellano, t. 1, p. 119.