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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/731

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son empire, au midi et à l’est, contre les Tartares et les Turcs : il avait même organisé les Cosaques du Kouban pour le service armé de la frontière. Son continuateur le plus heureux et le plus fidèle, Catherine II, en fit de même avec les Cosaques Zaporogues ; mais ce n’est point de ces premiers essais que sont nées les colonies proprement dites, établies depuis trente années seulement dans le nord et dans l’ouest. Celles-ci furent créées par l’empereur Alexandre. Il avait songé dès 1810 à doter son empire de véritables colonies militaires ; mais il ne comprit toute l’importance de semblables établissemens qu’en 1814, lorsqu’il eut apprécié par ses yeux et reconnu sur de glorieux témoignages les mérites des colonies militaires de l’Autriche. La création de l’empereur Alexandre n’a encore pu, on le comprend, porter que ses premiers fruits.

Quant aux colonies de l’Autriche, elles ont une histoire, et on a pu les juger sur leurs actes dans toutes les guerres de ce pays contre la France. La constitution qui les régit actuellement date de 1807. Cependant elles avaient, dès le commencement du XVIIIe siècle, une existence régulière, et avant même cette dernière époque, avant de recevoir une consécration officielle, une législation à peu près uniforme, elles existaient par la force des choses, d’où elles tirent principalement leur origine.

Dans le moyen-âge, les populations fixées à l’extrémité orientale de la Transylvanie, les Sicules ou Szeklers, tribu de race magyare, remplissaient la fonction spéciale de gardes des frontières. Les incursions armées auxquelles la Hongrie se vit de plus en plus exposée à mesure que les Turcs s’approchèrent davantage de l’Europe, obligèrent d’autres tribus à s’organiser de la même façon et pour le même objet. D’ordinaire elles obtenaient de la royauté des privilèges, des chartes, en récompense des services continuels qu’elles rendaient au pays. Lors donc que l’Autriche, devenue maîtresse de la Hongrie, entreprit de coloniser dans de grandes proportions, elle avait sous la main tous les matériaux et elle n’eut besoin que de les coordonner. Ainsi, à les envisager dans leurs développemens historiques, les colonies de l’Autriche semblent plutôt l’œuvre de la nécessité que de la délibération. Il est à remarquer aussi que la destination primitive de cette institution a changé, par suite des événemens mêmes qui ont déplacé la puissance et le danger des agressions en Europe. Les Turcs, contre qui la colonisation était dirigée, ont cessé d’être redoutables ; le brigandage même est devenu un fait exceptionnel, et, dans l’état nouveau des choses, les colonies militaires ne peuvent plus être considérées par l’Autriche que comme un moyen économique de recrutement pour l’armée. Elles finissent justement par où les établissemens coloniaux de la Russie ont commencé, et c’est pourquoi elles ont pu leur servir de modèle.

Cependant si la Russie, en fondant ses colonies militaires, a pu s’éclairer par l’étude des établissemens autrichiens, elle n’a point songé à se renfermer dans une imitation pure et simple ; elle ne l’aurait pas pu, car elle ne disposait point d’une population militaire toute prête, et elle ne l’aurait pas voulu, car elle eût été forcée d’accorder aux colons des libertés très peu étendues sans doute, mais néanmoins incompatibles avec les principes sur lesquels repose la société russe. Cela constitue entre les deux institutions une différence très considérable, qui en a engendré naturellement beaucoup d’autres dans les détails de la législation et de l’administration. Et vraisemblablement la différence encore plus considérable