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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/732

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qui existe dans la condition politique des deux pays assure aussi à leurs colonies un esprit, un rôle bien distincts et des destinées très diverses.


II.

Les confins militaires de l’Autriche, qui s’étendent de l’Adriatique jusqu’aux principautés moldo-valaques, se divisent en six colonies, celle de Carlstadt, celle du ban de Croatie, celle de Warasdin, celle de la Sirmie, celle du banat de Temesvar, enfin celle de la Transylvanie. Ces colonies ne sont point disposées régulièrement sur la frontière austro-turque : celle de Warasdin, par exemple, en est à plus d’une journée de marche, et celle de la Transylvanie est éparpillée sur le territoire à des distances plus grandes encore du cordon militaire. Les colonies se sont établies primitivement sur les points les plus menacés et les plus favorables à la défense, et, comme elles tiennent au sol par des intérêts profonds, elles n’ont point avancé au sud avec les frontières de l’empire. Par leur position géographique, elles sont toutes comprises dans la circonscription territoriale des royaumes annexés de Hongrie et de Croatie et de la principauté de Transylvanie. Placées sous l’administration directe du pouvoir central, elles ne participent point au régime constitutionnel de ces trois pays ; mais elles sont formées comme eux de populations très distinctes : il y a des régimens illyriens (croates), — allemands, — roumains (valaques), — szeklers. La race illyrienne et la race roumaine y dominent.

L’esprit qui a présidé à l’organisation législative de ces colonies est féodal ; mais il prend son point de départ dans le système de la sujétion (Unterthanigkeit), non dans celui du servage. C’est la législation hongroise d’à présent accommodée aux convenances d’une institution avant tout militaire. L’état est le seigneur terrien ; c’est de l’état que le colon tient sa terre, c’est envers l’état qu’il s’oblige ; le service militaire est la principale de ses prestations. Les marques de la féodalité sont restées très visibles dans la colonie transylvaine, dont les divers régimens sont szeklers ou roumains. C’est ainsi que, chez les Roumains, les colons se trouvent partagés en nobles et non nobles : les uns possèdent au même titre que les nobles de la Hongrie ; les autres sont simplement usufruitiers de l’état. Quant aux Szeklers, ils ne possèdent point comme tenanciers, mais comme conquérans ; seulement leurs terres forment des majorats inaliénables.

Dans les autres colonies, les lois sont moins confuses ; les terres y sont de deux espèces, et se distinguent en fiefs et en acquêts. L’acquêt n’a point d’étendue fixée ; mais le fief a ses limites qui varient de vingt-quatre à trente arpens[1], les prairies non comprises. Une ferme complète se divise régulièrement par quart, moitié ou trois quarts.

La population est partagée par familles ; toute famille se compose nécessairement de plusieurs membres aidés de manœuvres, de telle sorte que les uns puissent cultiver pendant que les autres remplissent leurs obligations militaires. Lorsque plusieurs familles possèdent moins qu’une ferme complète, elles se réunissent en une association dont tous les membres, les manœuvres exceptés, ont les mêmes droits sur la propriété commune. En s’associant, ils choisissent un

  1. L’arpent est de 1,600 toises carrées.