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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/930

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engouemens et les antipathies ont disparu, on juge de sang-froid : c’est comme une première postérité. Eh bien ! cette postérité commençante est venue pour l’école moderne, et l’on peut affirmer que son jugement est favorable aux nombreuses tentatives brillantes et poétiques qui ont précédé le moment où les imaginations se sont affranchies de tout frein. Ce passé d’hier est donc sauvé, et il n’est pas sans gloire ; mais le présent ! le présent ! Il est en proie à tant de maux que la critique, si elle ne songeait pas à demain, pourrait presque dire, comme le médecin dans Macbeth : « Ce mal est au-dessus de mon art. » Mais non ; le mal, quel qu’il soit, n’est pas au-dessus de la puissance de la critique et cédera à une réaction, car il n’y a eu qu’abus et gaspillage de fores. Il est vrai que cette réaction, si elle ne veut pas arriver trop tard, ne doit pas se faire attendre : l’heure a déjà sonné. Elle avait depuis long-temps sonné pour le public, maintenant elle a sonné pour les poètes eux-mêmes, qu’il faudra déclarer incurables, s’ils s’obstinent à ne pas l’entendre.

En effet, tant que les écrivains d’imagination, en s’appuyant sur les critiques complaisans qui s’étaient faits leurs hérauts d’armes, avaient su conquérir et garder la popularité, on pouvait comprendre leur dédain pour la critique sérieuse. Ils préféraient la quantité à la qualité des suffrages : chacun son goût. Qu’est-il arrivé cependant ? Les défauts de ces écrivains, ne trouvant aucun contrôle, n’ont fait que croître et embellir. Ils ont grossi, Dieu sait ! Les flatteurs n’ont pas pour cela changé de ton, ils ont continué les mêmes louanges sur toute la ligne ; ils ont épuisé toutes les formules de l’éloge, et même ils redoublaient de coups d’encensoir à mesure que les défauts se développaient majestueusement, tant et si bien que le public a fini par ouvrir les yeux et par surprendre le secret de cette comédie où il était pris effrontément pour dupe. Géronte a mis la tête hors du sac, et il a vu manœuvrer Scapin ! Qu’on l’y reprenne maintenant ; il est édifié, il ne croit plus à cette critique de compères. On peut donc espérer que ce n’est plus désormais la fausse critique qui distribuera la popularité, ce sera la vraie critique. Pensez-vous que les poètes viendront la demander à celle-là ? Sans doute, puisqu’ils ne peuvent pas s’en passer. Ce jour-là, s’il vient, sera le commencement d’une ère nouvelle pour l’école moderne, et personne ne saurait dire combien pourrait être féconde cette nouvelle alliance entre la critique sérieuse et la poésie. Ce serait, en tout cas, magnifiquement inaugurer la seconde moitié du XIXe siècle.


PAULIN LIMAYRAC.