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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/24

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nous empêcher de trouver fort remarquable ; c’est le petit écrit qu’a inspiré à un jeune homme la lecture de l’ouvrage de Mme de Staël ; sans doute les semences que contient cet ouvrage trouveront rarement une terre aussi promptement, aussi richement féconde. Mais l’exemple n’en a que plus de valeur ; ce qui a pu exciter dans un esprit naturellement distingué tant d’idées saines, tant de sentimens nobles, ne manquera pas, à coup sûr, de les propager dans un grand nombre d’autres esprits. Ces sentimens et ces idées forment déjà notre atmosphère morale, et il faut que les gouvernemens s’y placent aussi, car, hors de là, il n’y a point d’air vital. »


Suivaient les pages sur la Révolution française qu’on peut lire en partie reproduites au tome Ier des Mélanges[1]. L’article fit du bruit, et même un peu de scandale, dans les cercles où vivait le jeune auteur. Il y avait à cela plusieurs raisons, et non pas toutes frivoles. Le fils jugeait l’Empire, et ses parens l’avaient servi. Depuis la Restauration, M. de Rémusat père était préfet, le fils lui-même semblait destiné alors à une carrière au sein de l’ordre établi[2]. Juger de si haut le régime d’hier, tracer si décidément la marche à celui d’aujourd’hui, c’était une grande hardiesse assurément dans un jeune homme. Et puis faire un article de journal ! passe encore si c’eût été une chanson. En revanche, M. Auguste de Staël cherchait, pour le remercier, l’admirateur de sa mère ; Mme de Broglie lui écrivait pour l’appeler ; M. Guizot l’attirait chez lui, et M. Royer-Collard qu’il y rencontrait un soir, et devant qui on parlait de je ne sais quel ouvrage nouveau, se prit à dire de ce ton qu’on lui connaît : Je ne le relirai pas, et se retournant aussitôt vers le jeune Rémusat : Je vous ai relu, monsieur[3].

Chacun a son destin qui, tôt ou tard, se fait jour : fata viam invenient. Cela est vrai des individus comme des empires. Voilà donc M. de Rémusat auteur, et le voilà du groupe doctrinaire. Son étoile l’y conduisait. C’était bien le monde qui lui convenait le mieux comme exercice et développement de la pensée, un monde aussi ennemi du commun populaire que du convenu des autres salons, qui ne craint point les idées, pas même les systèmes ; où tout fait question, où tout se discute, s’analyse, se généralise ; où l’esprit n’a pas trop de tous ses replis, ni l’entendement de toutes ses formes ; où les lectures solides, les considérations élevées se résument toujours et s’aiguisent en une rédaction ingénieuse ; où cette ingéniosité de tour est un cachet non moins

  1. Pages 92-102.
  2. M. Molé, à ce moment ministre de la marine, l’avait admis à travailler dans la Direction des colonies.
  3. M. Royer-Collard lui-même avait reçu une vive impression de cet ouvrage posthume de Mme de Staël ; jusque-là il avait toujours eu contre elle d’assez fortes préventions, mais en lisant ces Considérations si hautes, si viriles et à la fois si prudentes, sur la Révolution française, il rendit les armes et s’avoua vaincu. Le doyen du groupe ne sentit pas autrement que le plus jeune initié.