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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/290

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francs par tête. Vous voilà presque d’accord avec les civilisés ; il ne vous reste plus que l’organisation du travail par groupes et par séries ! Mais qui fera mouvoir les séries et les groupes quand on aura supprimé l’essor des passions, la religion du plaisir ? Ici encore, on le voit, les novateurs, en se plaçant en dehors du progrès rationnel, en dehors de l’expérience et de l’observation, seul point de départ de tout progrès, sont fatalement ramenés dans le sein même de la société qu’ils voulaient détruire. Fourier n’était au fond qu’un magicien, un mystique égaré dans une époque industrielle. On a voulu à toute force en faire un économiste, et la science s’est vengée en brisant la baguette du sorcier.

Saint-Simon parlait au nom de l’art et de la théocratie industrielle ; Fourier, au nom de l’harmonie mystérieuse des nombres et des lois de l’attraction. Les communistes à leur tour parlent au nom de la fraternité évangélique et de la démocratie. Le communisme, qui se montre pour la première fois en France au XIIe siècle, sous la forme d’hérésie religieuse, avec Valdo et les pauvres de Lyon, s’arme avec les Jacques, s’allie au XVIe siècle avec les philosophes, et reste comme eux dans les nuages de l’abstraction ; puis il disparaît pendant deux siècles pour ressusciter avec Babeuf dans les jours les plus troublés de la révolution française. Oublié sous l’empire, sous la restauration et dans les premières années de la révolution de juillet, il relève sa bannière vers 1836, et, depuis cette époque, il a mis en circulation une quarantaine de livres ou de brochures, et fondé ou plutôt essayé de fonder quelques journaux. Parmi les livres, on distingue ceux de MM. Cabet et Proudhon, qui sont les grands théoriciens de l’école, et qui défendent, l’un le communisme icarien, fondé sur le principe de l’association, l’autre le babouvisme, fondé sur les théories de la loi agraire. Les journaux, au nombre de quatre, ont été publiés à Paris et à Lyon, qui sont, avec Saint-Étienne, les centres principaux de la secte. Ces journaux sont à Lyon le Travail, à Paris la Fraternité, l’Humanitaire, qui n’a eu que quelques numéros, et le Populaire, sur lequel le parti catholique a vainement tenté de mettre la main, en offrant les fonds du cautionnement exigé pour la publication hebdomadaire, à la seule condition que le journal prendrait une teinte religieuse. Malgré la modicité du prix, les diverses feuilles que nous venons de citer n’ont jamais eu qu’une publicité fort restreinte. Pouvaient-elles espérer, en effet, trouver des lecteurs parmi les hommes sérieux, quand l’un de leurs rédacteurs en chef, poursuivi pour délit de presse, déclarait devant les tribunaux ne savoir ni lire, ni écrire ?

Le communisme, comme les doctrines de Saint-Simon et de Fourier, n’est point resté concentré dans un petit cercle d’écrivains et de penseurs. Il a rallié de nombreux adeptes parmi les classes ouvrières, où il s’est partagé en diverses sectes désignées sous les noms de communistes égalitaires, communionistes, communitaires, communistes-matérialistes, chiénistes, communautistes, solidair-unis, fraternitaires. De la France, il s’est étendu rapidement dans la haute Italie, en Prusse, où il s’est constitué, sous le nom de Jeune Allemagne, en une vaste société secrète, en Suisse, principalement dans les cantons allemands, où il a recruté pour disciples cette espèce de prolétaires qu’on désigne sous le nom de Himathlosen, c’est-à-dire gens qui n’ont ni feu ni lieu. On se rappelle aussi qu’au moment des troubles du chartisme, les communistes français se sont mis en relation avec les chartistes anglais, et leur ont offert le secours