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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/291

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de leurs bras, si l’agitation sortait du meeting pour descendre dans la rue. Enfin, en 1835, le communisme fut implanté en Belgique par Jacob Kats, qui organisa, sous le nom de Fraternité, une association qui rappelait par la forme les sociétés de rhétorique de la vieille Flandre. Tour à tour tisserand, maître d’école, cabaretier et en même temps auteur dramatique, comédien, orateur et pamphlétaire, Kats prêchait son socialisme dans un estaminet de Bruxelles, où il avait établi un théâtre. Il y donnait en flamand des pièces de sa façon, où paraissaient des paysans éclairés, qui répétaient en dialogues populaires les Paroles d’un croyant.

Si nous comparons maintenant dans leur marche et leurs résultats l’école conservatrice progressiste et l’école révolutionnaire, nous voyons dans la première les idées se produire sans éclat et presque inaperçues, passer des livres dans les journaux, arriver lentement jusqu’au public, et, après sept ou huit ans de discussion, se transformer en projets de loi et se réaliser dans la pratique. Dans l’école révolutionnaire, au contraire, on procède toujours par saccades. Chaque système rallie autour de lui d’autant plus de disciples, excite dans certains esprits un enthousiasme d’autant plus grand, qu’il est plus échevelé et plus impraticable. Il faut huit ou dix ans à une idée juste pour se faire accepter, il faut six mois aux utopistes les plus excentriques pour se faire une école ; mais l’idée juste se retranche toujours, après une première défaite, pour livrer de nouveau bataille et prendre sa revanche. L’utopie, au contraire, une fois entamée sur un point, croule et ne reparaît qu’à de longs intervalles pour crouler encore. Le bon sens public ne s’enthousiasme jamais ; s’il se laisse passivement dominer par la vérité, il est toujours prompt à se révolter contre les témérités et les rêves. C’est là, dans toutes les questions de réforme, ce qui caractérise la société au milieu de laquelle nous vivons. Elle cherche et veut le progrès, mais en restreignant autant qu’elle le peut les chances du hasard. En économie politique, comme dans toutes les sciences, elle marche et avance en s’appuyant sur la méthode expérimentale, et, malgré l’égoïsme et la corruption dont on l’accuse, elle interroge au nom de la morale, au nom des sentimens éternels, ceux qui lui parlent au nom des intérêts. — Vous attaquez, vous supprimez la famille, — telle est l’objection contre laquelle sont venus se briser tour à tour les saint-simoniens et Fourier, contre laquelle se brisera le communisme. — Vous attaquez la patrie, — telle est l’objection contre laquelle se briseront les humanitaires.

Certes, nous ne voulons ni dissimuler ni excuser les vices de la société au sein de laquelle nous vivons ; mais il nous semble qu’il est fort difficile de résoudre en un seul jour et par des théories préconçues tous les problèmes qui naissent du choc des intérêts et des passions, et, si le principal travail de notre époque consiste à signaler le mal, c’est au temps et à l’expérience qu’il faut s’en rapporter pour le remède. Afin de calmer les impatiences des réformateurs, tout en reconnaissant en bien des points la légitimité de leurs plaintes, il faut interroger l’histoire, qui compte les années en mesurant le progrès. N’oublions pas qu’il y a huit siècles entre la chute de l’esclavage antique et l’émancipation des communes, qui donne à la bourgeoisie le droit de travailler et de posséder pour elle-même, et six siècles encore entre cette émancipation et la révolution française, qui détruit au profit de tous le monopole des maîtrises, des jurandes et des privilèges. N’oublions pas surtout le bien qui s’est fait de notre temps même dans l’intérêt des