Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seuls ont donc pu, par un amour exagéré des antiquités slaves, songer à la communauté primitive ; mais les paysans, quoi qu’on en dise, préfèrent la liberté du code civil à la fraternité du clan.


III. – CONCLUSION

L’Autriche a compris les devoirs que lui impose l’état de ses populations agricoles : elle est aujourd’hui en marche vers l’égalité civile ; les mesures récemment adoptées dans les provinces occidentales, le mouvement libéral qui se prononce chaque jour davantage en Hongrie, ne permettent plus d’en douter. D’où viendrait la résistance à des réformes sociales devenues indispensables et qui ne sont plus entièrement à l’état de projets ? De la noblesse ou du clergé ? Mais, d’une part, les inconvéniens si graves du statu quo pèsent d’abord sur ces deux classes, et d’autre part, dans toutes les provinces non constitutionnelles, leur autorité est nulle ou du moins très bornée.

Afin de mieux échapper à toute influence, le pouvoir absolu s’est entouré d’une caste de fonctionnaires qui ne représentent que sa propre pensée. Humbles, mais impassibles devant les classes nobles, sans éprouver pour cela plus de penchant pour les classes inférieures, leur dévouement à l’ordre de choses, c’est le dévouement du prêtre à l’autel. On a trouvé le secret de les désintéresser dans les affaires du monde. Cependant, pour qu’ils vivent sans trouble et sans ennui, il faut que le dieu soit respecté, et leur unique objet, c’est de le faire adorer des grands comme des petits. La porte de ces fonctions qui font la vie facile et sûre, quelquefois même brillante, ne s’ouvre que rarement à la haute noblesse. Certes, une fois entré, on n’est point sans avoir des chances d’arriver même aux plus hautes dignités nobiliaires ; mais pour entrer, c’est une mauvaise recommandation d’être prince. Si des princes d’un nom illustre ont plus d’une fois obtenu des situations élevées, ces hautes fonctions ainsi accordées avaient en réalité plus d’éclat que de solidité ; elles étaient plutôt ruineuses que lucratives, toujours contrôlées d’ailleurs par quelque homme nouveau placé sur le second plan, moins honoré, mais plus écouté. En un mot, la noblesse de race n’est rien et ne conduit à rien politiquement, si ce n’est à figurer dans ces diètes provinciales qui essaient en ce moment de se reconstituer, qui peut-être y parviendront, mais seulement à une époque encore éloignée.

Moralement, le clergé exerce plus d’autorité, et il a sur les masses ignorantes mille moyens d’action qui semblent imposer au gouvernement la nécessité de compter avec l’église ; mais on s’est pourvu contre ce danger de l’influence ecclésiastique en la subordonnant rigoureusement à celle de l’état, et, loin que la puissance cléricale veuille contrarier les calculs de la pensée dirigeante, il n’est pas de meilleur instrument d’administration et de police. Au reste, le clergé de l’Autriche, séculier ou régulier, dans les fonctions les plus humbles ou les plus hautes, ne se montre guère ambitieux. Ce n’est pas qu’il professe du mépris pour les choses de ce bas monde, tout au contraire ; seulement il a plus de penchant pour le bien-être que pour l’ascétisme évangélique, et sacrifie volontiers aux distractions mondaines la poursuite des honneurs et de l’influence. Le clergé ne peut donc pas plus que la noblesse entraver le gouvernement dans ses tentatives de sage réforme.