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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/354

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Il s’agit, on l’entend bien, du clergé et de la noblesse des provinces occidentales et non pas des prêtres et des seigneurs de la Hongrie, de la Croatie et de la Transylvanie. Ceux-ci vivent et agissent dans des conditions bien différentes. Ils sont en partie maîtres chez eux, obligés seulement de céder aux mouvemens de l’opinion publique manifestée par le jeu régulier ou irrégulier des institutions. Or, au milieu de l’étrange remuement d’hommes et de choses qui s’accomplit chaque année dans ces pays, l’opinion s’éclaire et s’élève avec une rapidité merveilleuse. En outre, une mesure libérale proposée par l’empereur et roi en vertu de son droit d’initiative ne risque guère d’y rencontrer d’opposition, car la noblesse et le clergé hongrois se piquent de générosité et ne veulent point être devancés, sans doute par orgueil national. Les Esterhazy, les Batthianyi, les Krasalkowicz, les Szechényi, les Apponyi, les Draschkowicz, les puissans archevêques ou évêques catholiques de Gran, d’Erlau, d’Agram, les courageux évêques grecs de la Syrmie et de la Transylvanie, rivaliseront d’ardeur avec le prince de Metternich sitôt qu’il voudra bien leur désigner une grande affaire à entreprendre. Les magnats et les députés illyriens, qui ont jusqu’ici voté dans la diète de Presbourg contre les lois libérales avec le gouvernement, parce qu’ils avaient besoin de son appui dans leur lutte contre les Magyars, voteront bien plus volontiers avec lui, quand il aura pris l’initiative d’une proposition libérale. Ceux des seigneurs magyars qui sont maintenant pour la réforme voteront par conviction ; ceux qui sont encore pour la conservation et l’immobilité voteront par amour-propre. Il en sera de même sans doute dans la Transylvanie, bien qu’il y ait là beaucoup plus à faire. Ainsi la chancellerie de Vienne pourra tout ce qu’elle saura vouloir.

Au-dessus de ces questions d’intelligence, de droiture, de puissance, plane une grande question politique : quelle sera la conséquence, quels seront les avantages politiques de l’émancipation des paysans ? Il en est un d’abord qui vaut toute la peine et tous les sacrifices dont on l’aura payé : c’est l’éloignement d’un péril actuel, pressant, capable de jeter l’empire dans une série de perturbations effroyables. Cependant quelques esprits se plaisent à en espérer d’autres, qui sont, à vrai dire, beaucoup moins probables. Malgré les expériences infructueuses de Joseph II, malgré la nature et l’histoire, malgré les tendances nouvelles des différentes nationalités réunies sous le sceptre impérial, il existe, parmi les hommes d’état de l’Autriche, des optimistes qui croient encore à une centralisation possible et qui voient précisément dans l’uniformité de la loi civile pour les classes agricoles un pas vers l’unité, qui donne la cohésion et la durée. Ils établissent leurs calculs sur un fait qui, à la vérité, semble au premier abord de nature à les favoriser dans le présent. Ils comptent que, par les droits accordés ou promis aux paysans de l’empire, on assurera au gouvernement leur reconnaissance et leur appui, et que l’on aura dans leur concours affectueux une force toujours prête pour paralyser les ambitions des nationalités. Peut-être ceux qui raisonnent ainsi n’ont-ils point assez examiné le rôle que jouent dès cet instant les populations rurales dans le mouvement illyrien, magyare, roumain ou bohème. En général, leurs regards ne s’étendent point au-delà du cercle de leur nationalité et du territoire ou l’on parle leur langue. Dans presque tout l’empire, les populations sont divisées, sinon ennemies : il n’y a d’exception que pour les Slaves du nord par rapport à ceux du midi, parce que le slavisme et l’instinct