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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/726

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profonde, assise sur un orme récemment abattu et riant du néant de la vie, tandis qu’elle contemple ce tronc superbe qui va devenir cercueil[1] - rire hideux, rire désolant qui réveille d’affreux échos dans les cavités du crâne vide. — Et qui cependant a mieux compris la majesté du trépas, sa pâle sérénité, son empreinte sacrée ? Lisez, pour vous en convaincre, ce fragment où demeure inachevée la grande image d’un océan mort[2]. Lisez aussi ces quatre strophes dont la concision, l’harmonie, la triste couleur, sont presque inimitables.

« Nous avons, toute la nuit, écouté son souffle, — son doux et faible souffle, — tandis que, dans sa poitrine, le flot de la vie - montait et retombait encore.

« Si basse était notre voix, — si lents étaient tous nos gestes, — que nous semblions lui avoir prêté de notre vie - pour ajouter à la sienne.

« Nos espérances démentaient nos craintes, — nos craintes démentaient nos espérances ; -nous la croyions morte, qu’elle dormait encore, — endormie quand elle mourut.

« Car, lorsque le matin parut obscur et voilé, — humide de précoces orages, — ses paupières immobiles s’étaient fermées ; — elle avait vu se lever - une autre aurore que la nôtre[3]. »


Lisez enfin le sonnet : It is not death, où le poète exprime avec tant de bonheur la crainte de l’oubli, qui est pour les ames tendres, de toutes les angoisses du trépas, la plus redoutée. « Ce n’est pas la mort, nous dit-il, que la fuite silencieuse de nos éloquens soupirs. Ce n’est pas la mort, l’obscurcissement soudain de ces deux astres vivans qui parfois rendaient au soleil rayons pour rayons ; la chair tiède, animée, qui s’anéantit ; les pourpres ruisseaux de la vie cessant de couler ; notre immortelle intelligence échue à quelque autre enveloppe d’argile, et peut-être dégradée par cette métamorphose ; — ce n’est pas, ce n’est pas la mort. La mort est de savoir que les pensées pieuses qui s’empressent, — tendre et fréquent pèlerinage, — auprès d’une tombe nouvelle, cesseront bientôt d’y venir aussi souvent, aussi émues, et que, lorsque la première herbe a recouvert les êtres perdus, peut-être ils ont cessé de ressusciter dans le cœur de ceux qui survivent[4]. »

Cette muse aux deux masques passait aisément des tristesses profondes aux joies bruyantes. Souvent elle alliait, dans une seule composition, les deux tendances opposées, et nous les trouvons heureusement mariées dans le portrait du Maître d’école irlandais, tableau de genre qui, selon qu’on l’envisage, est une caricature de Cruicshank ou une lamentation de Jérémie. Une esquisse du même genre a été donnée

  1. The Elm-Tree, a Dream in the Woods. -Hood’s poems, vol. I, p. 14.
  2. The sea of Death. — Hood’s poems, vol, II, p. 239.
  3. The Death-bed, vol. II, p. 3.
  4. Hood’s poems, vol. II, sonnet IV.