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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/988

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Fernand de Castro. La reine-mère, incapable de commander, n’était respectée par personne. Entre don Pèdre et ses frères, le spectre de doña Leonor de Guzman élevait comme une barrière à toute réconciliation. Du côté des princes aragonais, les mêmes motifs de haine ne les éloignaient pas du roi. Ils voyaient d’un œil jaloux la fortune croissante des bâtards ; don Juan surtout, marié à la seconde fille de don Juan Nuñez, convoitait le riche héritage des Lara, possédé par don Tello. Enfin, considérés un moment comme les chefs de la ligue, tant qu’elle avait eu besoin d’opposer un grand nom à celui du roi, ils n’étaient plus, depuis la paix, que des étrangers qui voulaient s’enrichir aux dépens de la Castille. Tout engageait donc le roi à tourner ses vues vers les infans d’Aragon, à chercher en eux les instrumens de sa délivrance. Aux premières ouvertures qu’il fit, il les trouva disposés à se séparer de leurs alliés, et bientôt il ne s’agit plus pour lui que de savoir le prix qu’ils mettaient à leur défection. De temps en temps on permettait au roi de sortir de la ville pour chasser au faucon, et, malgré la surveillance de ses gardes, le désordre inséparable de ces amusemens lui permettait de recevoir les communications de ses partisans et les offres des seigneurs mécontens de la ligue. Son trésorier Levi, durement rançonné par don Tello, en avait obtenu à prix d’or la permission de revoir son maître et même de l’accompagner dans ses parties de chasse. Les pierreries que le Juif avait eu l’art de sauver, les trésors cachés qu’on lui supposait, le rendaient un personnage important dans les négociations secrètes qui se conduisaient à la cour de Tore. Simuel Levi ne manquait ni de courage, ni d’adresse ; il était sincèrement attaché à don Pèdre, et devint le plus habile et le plus actif de ses agens. Par ses soins, dans les derniers jours de l’année 1454, un traité fut conclu entre les infans d’Aragon, la reine Léonor et le roi prisonnier. Au prix de maint château, de maint riche domaine, ils s’engagèrent à s’armer contre les bâtards. Avant tout, il fallait mettre le roi en liberté. Don Pèdre, profitant d’un épais brouillard, sortit de grand matin de Toro, un faucon sur le poing, comme pour aller à la chasse, accompagné de Levi et de son escorte ordinaire, c’est-à-dire de quelque deux cents cavaliers. Soit que ses gardiens fussent gagnés, soit que le roi imaginât quelque moyen pour les éloigner de sa personne, il se trouva bientôt seul avec le Juif. Alors, courant à toute bride sur la route de Ségovie, ils se trouvèrent en peu d’heures hors d’atteinte[1]. On prétend que don Tello commandait ce jour-là l’escorte du prisonnier, et qu’il favorisa son évasion, séduit par de magnifiques promesses[2]. Bien

  1. Ayala, p. 174.
  2. Sumario, etc., p. 65. — Suivant l’anonyme, auteur du Précis du règne de don Pèdre, le roi aurait donné à don Tello la seigneurie de Biscaïe, Aguilar de Campos et les Asturies de Santillane. Mais don Tello possédait déjà la Biscaïe du chef de sa femme, doña Juana de Lara. Pour que l’anecdote soit plus romanesque, l’anonyme ajoute que le roi écrivit la donation sur un chiffon de papier, dans un ermitage au milieu de la chasse.