Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/989

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que cette version vienne d’une source justement suspecte, il est probable qu’elle se fonde sur quelque tradition contemporaine, et dans la suite la conduite de don Pèdre à l’égard de don Tello, qu’il distingua toujours de ses frères, donne lieu de croire qu’il en reçut de fait un signalé service. Au reste, le nombre des seigneurs gagnés par l’or du Juif et les promesses de don Pèdre était déjà grand, et les bâtards, vaguement instruits de ces menées, ne savaient plus à qui se fier désormais ; à peine osaient-ils se communiquer entre eux leurs inquiétudes.

En mettant pied à terre dans l’Alcazar de Ségovie, où sans doute des serviteurs fidèles l’attendaient, le roi écrivit à la reine-mère pour redemander sa chancellerie et les sceaux du royaume qu’il avait été forcé de remettre entre ses mains. Il ajoutait fièrement que, si l’on refusait de les lui rendre, il avait de l’argent et du fer pour en fabriquer de nouveaux[1]. La reine Marie n’osa pas désobéir. D’ailleurs, l’alarme était grande à Toro. Chacun attribuait l’évasion du roi à une trahison. Le traité conclu avec les infans d’Aragon était encore un mystère ; mais tous les chefs se soupçonnaient les uns les autres, et s’imputaient à l’envi les projets les plus perfides. Enfin, ignorant les plans du roi, incertains de ses ressources, ils s’en exagéraient l’importance et la grandeur.


II.

Les conditions du marché conclu entre don Pèdre et ses geôliers ne tardèrent pas à se révéler à toute l’Espagne. Au commencement de l’année 1355, la reine doña Léonor quitta brusquement Toro avec ses fils pour se rendre à Roa, dont elle prit possession en vertu d’un ordre royal. Les infans d’Aragon recevaient en même temps l’hommage de plusieurs villes ou châteaux détachés du domaine de la couronne ; c’était la rançon du roi qui leur était fidèlement payée. En retour, ils cédèrent à don Pèdre les places d’Orihuela et d’Alicante dans le royaume de Valence, cession en apparence purement nominale, car depuis long-temps le roi d’Aragon inquiétait ses frères dans leur droit de suzeraineté sur ces villes, si toutefois il leur permettait de l’exercer[2]. Probablement les infans espéraient cacher par cet échange prétendu leur honteux traité avec le roi de Castille ; peut-être, par une singulière prévoyance, don Pèdre, encore errant et fugitif dans ses propres états, rêvait-il déjà de les agrandir aux dépens de ses voisins. On verra qu’il

  1. Ayala, p. 175.
  2. Znrita, t. II, p. 269. — Ayala, p. 178. — Il paraît que les articles du traité d’Atienza concernant les infans d’Aragon ne furent jamais fidèlement observés par Pierre IV.