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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/14

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chefs d’industrie qu’elles plaçaient dans l’impossibilité mathématique de satisfaire à leurs engagemens. A Paris, la commission du Luxembourg décidait du prix de main-d’œuvre de la fabrication des machines ou des voitures, et remédiait, par l’augmentation des salaires des ouvriers, aux inconvéniens de la réduction des prix de vente et du défaut d’écoulement des marchandises. Les fabricans, n’osant pas user de leur liberté, ne sachant pas se résoudre à des sacrifices immédiats, souscrivaient à des conditions ruineuses, les membres de la commission remontaient dans leurs voitures aux acclamations des ouvriers ; mais, quelques jours plus tard, les ressources des établissemens étaient épuisées, les travaux s’arrêtaient, et les ouvriers errans venaient demander l’exécution des promesses du 25 février[1]. Dans les provinces, chaque ville manufacturière a eu quelque commissaire, excitant l’agitation parmi les ouvriers, et arrangeant ensuite les choses d’après les principes et les calculs de la commission, qui pourtant semblait ne devoir s’occuper que de Paris. Les résultats ont été partout les mêmes. Beaucoup de patrons ont été ruinés sans que les ouvriers en fussent pour cela plus riches, et beaucoup d’entreprises qui eussent été continuées par d’autres ont été abandonnées- à plus forte raison n’en a-t-on point commencé de nouvelles. Cette succession des individus, ce renouvellement des capitaux qui constituent une si grande partie du mouvement industriel, ont été interrompus ; on s’est pressé de sortir d’une carrière où l’on n’était plus maître de sa direction, où s’introduisait, parmi les chances inévitables, une cause permanente de perte, et personne ne s’est présenté pour y entrer. Parmi les mesures de la commission du Luxembourg qui, suivant M. Emile Thomas, ont concouru à augmenter si rapidement le personnel des ateliers nationaux, cette intervention a certainement été l’une des plus efficaces, et l’effet de ces mesures se manifestait immédiatement par l’arrivée de plusieurs milliers d’ouvriers dont l’industrie était brusquement arrêtée[2]. Les départemens répondaient, comme toujours, à l’appel qui leur était fait de Paris : le 6 mars, il y avait huit à dix mille ouvriers dans les hôtels garnis du département de la Seine ; il y en avait, le 19 mai, de trente à quarante mille ; ils n’étaient pas venus pour chercher du travail, et la majeure partie profitait pour vivre des facilités que procurait l’établissement des ateliers nationaux,

La commission du Luxembourg ne rendait pas de pareils services sans qu’il en coûtât rien, et, malgré les exemples de tant d’autres enquêtes faites gratuitement, il a fallu ouvrir, les 3 et 19 avril, pour son

  1. « Le gouvernement provisoire de la république française s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail.
    Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens. » {Bulletin des Lois, I, 18.)
  2. Rapport de la commission inst.luée par décision ministé ieLe du 17 mai 1848, pour l’examen des diverses quittions relatives aux ateliers nationaux.