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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/15

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service pendant moins de deux mois, deux crédits extraordinaires, l’un de 30,000, l’antre de 38,000 francs[1].

Toutefois cette influence malfaisante était passagère, et elle a trouvé son terme dans la clôture des travaux d’apparat de la commission. La plus funeste et la plus ridicule mesure qu’elle ait conseillée lui survit, et le recrutement permanent des ateliers a été décrété, le 2 mars, sur sa proposition, dans la suppression d’une heure de travail par jour pour tous les ouvriers de France. Le droit à l’admission dans l’atelier national est devenu le corrélatif de l’interdiction de travailler au-delà d’une certaine limite. Tant que cette interdiction sera maintenue, l’état devra des dédommagement à ceux qu’elle frappe ; l’anéantissement de plusieurs branches d’industrie entraîne l’obligation d’élargir le refuge des ouvriers qu’il prive de moyens d’existence.

De toutes les flagorneries empoisonnées qu’on a depuis quelque temps prodiguées aux ouvriers, la plus détestable est celle qui a conduit à leur dénier la liberté de travailler. Cette liberté est celle de vivre, et, quand le gouvernement la refuse ou la limite, une impitoyable logique le condamne à combler le déficit fait par sa faute dans les ressources des familles laborieuses. Tant qu’un décret désorganisateur de l’industrie mettra nos manufactures hors d’état de soutenir la concurrence étrangère, tant qu’il sera interdit à l’ouvrier valide de mettre la durée de son travail au niveau de ses forces, de ses besoins, de ceux de sa famille, de quel droit refuserait-on des secours à sa femme, à ses enfans, à lui-même ? On l’exproprie d’une partie de l’usage de ses bras, on lui doit une indemnité. Le maintien du décret du 2 mars implique l’élargissement indéfini des ateliers nationaux, et, si l’assemblée prétend les faire fermer, qu’elle commence par abroger le décret. Elle discutera dans peu de jours le projet de constitution : il fait consister la liberté dans le droit d’aller et de venir, de s assembler, de s’associer, de pétitionner, d’exercer son culte, de manifester ses pensées et ses opinions ; la commission a omis, est-ce par courtoisie pour le gouvernement provisoire et la commission du Luxembourg ? le droit de travailler : espérons que, plus généreuse, l’assemblée le rétablira.

Depuis l’abolition des maîtrises et jurandes, en 1790, le décret du 2 mars dernier est la première atteinte légale portée en France à la liberté du travail, car on ne saurait appeler ainsi les restrictions convenues dans l’intérêt de l’impôt ou dans celui de la sûreté et de la salubrité publiques. Malheureusement, quand la loi consacre la liberté, les ouvriers moins avancés s’assujétissent eux-mêmes à des usages qui constituent pour quelques-uns une véritable servitude. Parfois ils prononcent entre eux l’interdiction de tel travail, de tel atelier, l’exclusion

  1. Numéros 354 et 359 du 34e Bulletin des Lois.