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nous avions trouvé les esprits agités par les idées de la civilisation moderne et le désir du progrès politique, dans celle de Goyaz, au contraire, nous trouvâmes toutes choses telles qu’elles étaient sous le gouvernement colonial : fort peu, parmi les habitans, savaient qu’une révolution fondamentale avait changé la face du Brésil, et peu nombreux aussi étaient ceux qui s’occupaient d’une constitution dont la plupart ignoraient même l’existence. Ce qui occupait le plus le pays, c’étaient les processions religieuses qui s’y succédaient sans cesse, et dans lesquelles on déployait un luxe que j’ai rarement rencontré ailleurs. Ces processions avaient généralement lieu le soir, quelquefois dans la nuit, et les milliers de torches qu’agitaient les pénitens jetaient de bizarres lueurs sur des costumes monastiques singulièrement variés. Nous remarquâmes plusieurs malheureux qui, par esprit de contrition, se traînaient à genoux dans les rues, en portant d’énormes pierres sur leur tête ; d’autres se jetaient sur le pavé des églises et suppliaient le peuple de les fouler aux pieds.

La ville de Goyaz n’a aujourd’hui d’autres communications que celles que lui ouvrent laborieusement les troupes de mules qui vont à trois cents lieues, et par d’épouvantables routes, chercher à Rio-Janeiro et à Bahia toutes les marchandises nécessaires à la consommation des habitans ; mais, si jamais la civilisation européenne se répand dans ces régions écartées, elle ouvrira en peu de temps des rapports entre Goyaz et le Para par la voie des fleuves. Effectivement, Goyaz se trouve situé entre le Tocantin et l’Araguaïl, qui se réunissent, vers le sixième degré de latitude sud, pour former une des plus belles rivières du monde. Le Tocantin et l’Araguaïl ont été autrefois ouverts à la navigation. Malheureusement, pendant que la civilisation se répand sur les côtes du Brésil, la barbarie s’empare de tout l’intérieur : les sauvages reprennent partout leur souveraineté primitive ; les plantations, les villages même sont attaqués et brûlés, et ceux des habitans qui échappent à ces massacres s’empressent de quitter des lieux où leur vie est continuellement en danger.

La rivière du Tocantin est obstruée, dans presque tout son cours, par des cascades presque infranchissables. Ce n’est qu’à partir de Porto-Imperial qu’elle devient praticable. Pour suivre cette voie, il faut donc envoyer les marchandises à dos de mules à une distance de deux cents lieues, afin de pouvoir les embarquer. L’Araguaïl, au contraire, ne présente dans sa partie supérieure que peu d’obstacles à la navigation, et l’on peut s’embarquer à cinq ou six lieues de la capitale sur un de ses affluens, le Rio Vermeilho. Cette rivière deviendra certes, un jour, la principale voie de communication de toute cette partie du Brésil central ; mais les bords sont habités par des tribus sauvages qui ont massacré les équipages des dernières expéditions envoyées sur l’Araguaïl,