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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/226

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pour l’exécuter, il fallait des vivres, et il refusa de m’en donner, ou même de m’en vendre, à quelque condition que ce fût. J’eus beau lui représenter qu’en agissant ainsi, il exposait à périr de faim non-seulement des étrangers, ce qui pouvait à la rigueur l’intéresser assez peu, mais encore un nombre assez considérable de soldats brésiliens : rien ne put l’émouvoir. Je savais cependant que ses magasins étaient garnis de farine de manioc. Ce que je ne savais pas, c’est que cet homme ne reculait, pour s’enrichir, devant aucune exaction. Ses propres soldats n’étaient nourris que de jeunes crocodiles qu’il vendait un prix exorbitant à ceux-là même qui les avaient péchés. Trois ans plus tard, on me donna tous ces détails au Para, où j’appris que la garnison du fort s’était révoltée contre ce chef indigne et l’avait fusillé.

Les refus du commandant de San-Juâo me laissaient cruellement inquiet. Comment allais-je pourvoir à la nourriture de tant d’hommes, auxquels je devais encore imposer de si durs travaux ? La pêche ne nous offrait que des ressources bien précaires. Enfin j’obtins, à force de supplications, quelques paniers de farine de manioc, et j’envoyai dans les bois quelques hommes de mon escorte, qui me rapportèrent une assez grande quantité de châtaignes du Para : de plus, on consentit à me vendre la seule bête à cornes qui existât dans le fort, et que l’on y conservait comme objet de curiosité. Ce fut avec ces provisions, bien insuffisantes sans doute, que je cherchai à opérer la remonte du Tocantin. Cette tentative devait couronner dignement notre excursion.

Bientôt nous nous engageâmes dans des cascades très difficiles à franchir, surtout pour des hommes déjà exténués par tant de privations. Une navigation de neuf jours nous conduisit à la mission de Boa-Vista. Les incidens qui marquèrent ces neuf jours empruntent toute leur signification au malaise que le découragement et la faim faisaient peser sur notre équipage. La découverte d’une tortue, la rencontre d’une embarcation pourvue d’un peu de viande sèche, suffisaient pour éveiller parmi nous des transports de joie. C’étaient de véritables événemens. J’eus aussi à comprimer une révolte qui n’avait d’autre cause que l’excès de la fatigue et de la faim. Une partie de mon équipage voulut m’imposer une halte que je regardais comme préjudiciable aux intérêts de l’expédition. Après quelques tentatives infructueuses pour ramener les révoltés au devoir, je dus leur annoncer que j’allais les abandonner dans le désert, habité par des Indiens hostiles ; puis je fis prendre le large, bien résolu à ne continuer mon voyage qu’avec les hommes restés fidèles. Lorsque les révoltés virent ma contenance, ils demandèrent à capituler ; mais ils n’obtinrent de rentrer dans les embarcations qu’en les gagnant à la nage.

Notre entrée à Boa-Vista fut vraiment triomphale, et quelques jours