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de repos dans cette petite ville nous eurent bien vite fait oublier toutes nos peines. Nous descendîmes à terre au milieu d’un discordant tapage produit à la fois par les sons peu harmonieux de la musique du pays, par des volées de cloches et des salves de mousqueterie, auxquelles répondaient les roulement de notre tambour et les coups de fusil de mon escorte. Cet effroyable tintamarre dura jusqu’à la nuit. La ville de Boa-Vista est assez jolie, bien que toutes les maisons soient construites en feuilles de palmier et en paille ; l’église est spacieuse et bâtie avec les mêmes matériaux, à l’exception des assises, qui sont en pierre. C’est grâce aux bons offices des missionnaires que cette bourgade s’est élevée assez récemment. La population est principalement composée de nègres de la province de Maranon. Il y a peu d’années, quelques cahutes, repaires de voleurs et d’assassins, existaient seules dans cet endroit ; elles sont aujourd’hui remplacées par un village florissant, par une population bienveillante et paisible.

Une excursion à travers les admirables forêts qui entourent Boa-Vista nous amena jusqu’aux villages habités par les Indiens Apinagés. Avant l’arrivée des missionnaires, ces sauvages attaquaient les embarcations ; souvent ils massacraient les équipages qui remontaient ou descendaient le Tocantin. Aujourd’hui, les Apinagés sont plus pacifiques, et, bien que n’entretenant pas de relations très intimes avec les habitans de Boa-Vista, ils paraissent cependant avoir renoncé à leurs déprédations. Il est vrai que ces Indiens, entourés par la peuplade anthropophage des Chavantes, sentent le besoin de vivre en bonne intelligence avec les chrétiens, dont les armes à feu leur sont quelquefois d’un grand secours. Ces Indiens sont absolument nus ; ils ont l’habitude de percer les oreilles des jeunes enfans, d’y passer de légers bâtons dont on augmente sans cesse le diamètre, et qu’on remplace enfin par des rondelles de bois qui dilatent le lobe de l’oreille au point de le faire pendre sur les épaules. Les Apinagés vivent réunis dans trois grands villages ; nous passâmes la nuit dans le plus grand : l’on y préparait depuis plusieurs jours une fête singulière, à laquelle nous assistâmes. Tous ces Indiens étaient peints des couleurs les plus vives et parés de plumes éclatantes ; des danses monotones durèrent toute la nuit, au bruit des trompes et des tambourins. Nous vîmes successivement plusieurs couples portant leur nouveau-né dans un hamac, puis venant le présenter à la lune, qui brillait alors de tout son éclat. Un Indien d’une extrême agilité, et qui se livrait aux plus incroyables gambades, secouait avec violence une espèce de calebasse en forme de bouteille contenant de petits cailloux. Les femmes étaient admises à cette fête et formaient une longue ligne en face des hommes. Malgré l’état de surexcitation dans lequel la danse et la boisson avaient jeté les sauvages, ils n’eurent pour nous que les meilleurs procédés.