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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/468

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leur imagination tressaillir quand ils voient les bateaux à vapeur, sillonnant ces magnifiques fleuves, se croiser fièrement le long des forêts vierges et des prairies séculaires. Les miracles de l’industrie humaine et la prodigieuse fécondité d’un monde primitif, ce sont là des oppositions qui saisissent énergiquement la pensée ; l’Américain seul semble y être indifférent : il vit au milieu de ces contrastes, et ne sait pas s’approprier la haute poésie qu’ils renferment.

Le travail, en effet, l’austère travail sollicite sans cesse cette race de puritains, et laisse peu de loisirs à la méditation. Regardez le squatter, cet intrépide aventurier qui s’enfonce dans les prairies sans issue et dans les forêts impénétrables. Armé de sa hache et de sa carabine, le voilà parti pour ses expéditions taciturnes. C’est le conquérant du sol ; il va donner à la civilisation des espaces nouveaux ; tout ce qu’il gagnera sera gagné pour le genre humain. Cependant nul ne doit savoir quel courage aura été déployé, quelles privations souffertes, quels périls héroïquement bravés dans ces luttes de chaque jour et de chaque heure. Lui-même le sait-il bien ? Sait-il ce que produit cette activité toujours en éveil, ce que valent ces trésors d’audace et cette fertilité d’expédiens ? Non ; il ne paraît pas que ce brave homme ait seulement une idée confuse du rôle si original qu’il remplit dans le monde. Combien plus ce même phénomène existera au sein des grandes villes ! Il y a, dit-on, un orgueil américain d’une espèce à part ; les citoyens des républiques unies se proclament hardiment les premiers citoyens de l’univers, et ils savourent avec une singulière béatitude le plus parfait contentement d’eux-mêmes. Cherchez seulement ce qu’ils pensent de leur histoire et de leurs traditions, tâchez de découvrir l’idéal qui brille à leur esprit ; vous les trouverez toujours préoccupés de l’action immédiate, du travail d’aujourd’hui et de demain, jamais de l’influence générale et du génie de leur pays. Tous les écrivains qui ont visité l’Union sont d’accord sur ce point. La fièvre du travail matériel y est partout et y absorbe tout. De New-York à la Nouvelle-Orléans, de l’Orégon au Texas, les États-Unis forment une immense exploitation agricole et commerciale ; du nord au sud et de l’est à l’ouest, toutes ces républiques travaillent, comme des fourneaux en feu, avec une ardeur que rien ne peut ralentir. Quant à cette activité sublime qui ne se révèle pas par un produit visible, qui fonde autre chose que des plantations, qui défriche sans le secours de la charrue des contrées plus fécondes que les plaines du Mississipi, on ne la connaît guère dans la démocratie américaine. Or, ce n’est pas impunément que l’homme méconnaît une partie de ses devoirs, et, lorsque te travail de l’esprit est dédaigné, l’autre travail en souffre bientôt ; je veux dire que le travail matériel, quelle que puisse être l’importance de ses résultats, ne donne plus à la société les satisfactions glorieuses qu’elle en pouvait tirer. Qu’importe