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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/1035

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les troupes royales dans les différens locaux de Berlin, courant chercher à Brandenbourg le prix de ses journées aussitôt qu’on y transporte le paiement de son salaire, l’assemblée nationale est d’ailleurs déconsidérée par la médiocrité générale des membres qui la composent. Elle a échoué devant l’opinion, quand elle s’est ingéré de décréter un refus d’impôt ; elle a soulevé contre elle la loyalty prussienne, quand elle a essayé, par la bouche de M. de Kirchmann, de dicter à la couronne des conditions outrageantes, l’emprisonnement des ministres, le licenciement de la garde, le retour du roi à Berlin, l’épuration de son entourage, etc., etc. La Prusse et l’Allemagne entière ont repoussé cette contrefaçon de 92. Les autorités municipales offrent spontanément au roi de payer l’impôt que l’assemblée nationale, ou du moins la fraction dominante de l’assemblée, leur commande de refuser. Les propriétaires mettent leur fortune et leur sang à sa disposition. Les hommes de la landwehr arrivent avec enthousiasme remplir leurs cadres ; on les rencontre sur les routes par grandes files, courant la poste et faisant sonner les postillons, tant ils sont joyeux et pressés d’aller servir le roi. Les ambitions démocratiques ne sauraient être plus battues ; — c’est ce moment-là que le roi Frédéric-Guillaume a justement choisi pour donner à la Prusse une constitution aussi libérale que tout démocrate intelligent pouvait la désirer. Si libérale soit-elle, le roi n’y trouve assurément rien de trop pour sa part ; il y gagne deux points auprès desquels tout le reste ne lui est plus de rien. Il s’y intitule roi par la grace de Dieu, ce que l’assemblée ne voulait pas, et quoiqu’il n’y ait point dans cette charte d’article 14, quoiqu’elle doive expressément être révisée dans la diète de 1849, elle n’en est pas moins une charte octroyée, ce qui flatte toujours chez ce législateur constitutionnel les involontaires réminiscences du droit divin.

Mélange singulier de tendances contraires, produit dans une nature originale par les habitudes d’un esprit d’autrefois et par les nécessités d’une époque de renouvellement ! Le roi Frédéric-Guillame, en renvoyant sa constituante, en gardant son ministère de commis, est cependant très sincèrement résolu à devenir un prince parlementaire ; mais il veut l’être à sa manière, et le dévouement de fraîche date qu’il consacre aux doctrines libérales ne le gêne pas dans son amitié croissante pour M. Leo, un des anciens coryphées du piétisme. Cette amitié elle-même ne l’arrête pas dès qu’il se met en tête de rivaliser avec le roi Léopold. La charte belge à Berlin, c’est une hardiesse raisonnée qu’il faut louer chez un prince qui aime à vivre d’inspirations. Ce grand acte de force et de prudence a réjoui sincèrement l’opinion constitutionnelle en Allemagne ; -l il rend à la Prusse la force morale et politique dont elle paraissait privée depuis les dernières catastrophes.

Il est bien difficile que Francfort conserve le prestige de son autorité médiatrice, quand les deux grands états germaniques se relèvent avec tant de puissance. Les diètes de Vienne et de Berlin ont compromis le pouvoir central durant leur période révolutionnaire : succombant aujourd’hui sous l’autorité royale, elles affaiblissent encore, par leur défaite même, l’autorité de Francfort, trop semblable au fond à la leur pour ne pas se ressentir de leur chute. Le crédit politique de Francfort, si considérable il y a quelques semaines, quand on l’invoquait contre la démagogie, baisse à présent que la démagogie est vaincue.

La diète centrale réunit pourtant les hommes les plus distingués de l’Allemagne ; toutes les autres assemblées se sont appauvries pour composer digne-