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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/166

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sans coup férir d’une ville défendue par quarante-cinq mille hommes de troupes régulières au dehors, par plus de quarante mille gardes nationaux au dedans, La capitulation ayant été déchirée, le général d’Aspre était autorisé à ordonner le pillage. Il préféra, par une tolérance tacite, laisser un libre essor aux vengeances, aux attentats isolés. Les forçats de Porta-Nuova furent mis en liberté ; ils s’unirent aux soldats pour entrer dans les maisons, désormais désertes, et en emporter tous les objets de quelque prix. Des maisons ils passèrent aux églises, des églises aux musées nationaux. Les généraux Rivaira et Roger, que leur santé affaiblie avait retenus à Milan, furent condamnés à mort. Les décrets de confiscation n’ayant pu être régulièrement exécutés, faute de tribunaux, d’employés du fisc, de formalités et surtout de temps, on eut recours à un système de contribution forcée qui épuisa toutes les bourses[1]. Malgré les instances et les promesses du général autrichien, aucun émigré ne profita de la permission de rentrer dans la ville envahie.

Depuis les événemens d’août, près de cent mille Milanais se sont réfugiés dans le canton du Tessin. Deux des membres du comité de défense, MM. Restelli et Maestri, sont de ce nombre, et, s’étant constitués en junte insurrectionnelle, ils se sont adjoint M. Mazzini, émigré comme eux, et que nos derniers malheurs n’ont pas surpris. Un assez grand nombre de Lombards, ceux-là surtout qui persistent à fonder leur espoir sur la maison de Savoie, se sont rendus en Piémont. La réception qu’on leur a faite a été peu amicale. A Paris même, les Lombards venus pour invoquer l’appui de la France ont été froidement accueillis. Des calomnies inspirées par l’Autriche avaient partout devancé nos plaintes. A Turin et à Paris, on représentait les Lombards comme une nation lâche, égoïste et frivole. C’est sous l’impression de ces accusations si douloureuses et si peu méritées que j’ai pris la plume. Les faits que je me suis bornée à raconter fidèlement ne s’accordent guère, on le voit, avec les récits de l’Autriche.

En terminant cette rapide histoire de la révolution milanaise, j’éprouve encore le besoin de répéter que j’ai voulu défendre les Lombards plutôt qu’accuser ceux qui ont préparé leur ruine. Pourtant je ne me dissimule pas ce que le simple exposé des faits qui viennent de se passer en Lombardie laisse planer de soupçons sur les principaux acteurs de ces tristes événemens. C’est parce que je le comprends, c’est parce que je le regrette, que je crois devoir entrer à ce sujet dans

  1. La répartition arbitraire de cet impôt fut confiée à une commission dont le président était le baron de Sopransi, directeur de la police milanaise sous le gouvernement provisoire. Le refus de paiement entraînait la confiscation. M. Sopransi s’est souvenu des plaintes que j’avais souvent adressées au gouvernement provisoire contre les tendances de son administration, et il me fait porter aujourd’hui la peine de ma franchise.