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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/651

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ont des lois impérissables que ne sauraient altérer ni les événemens qui nous frappent ni les inquiétudes qui nous agitent.

Là ne se borne pas le devoir de la critique dans les temps difficiles ; il faut qu’elle se souvienne que ceux dont elle discute les ouvrages luttent comme elle contre l’inattention publique et la mauvaise fortune, et que déployer un pessimisme trop grondeur, une rigueur trop impitoyable, ce ne serait pas seulement manquer d’à-propos, mais encore donner beau jeu à ces difficultés mêmes dont elle souffre et dont elle se plaint. Puisque chaque époque a ses actualités de langage, puisque les habitudes militaires auxquelles nous assujettit notre liberté nous rendent plus présentes les similitudes et les images de la vie des camps, ne pourrait-on pas dire qu’aux époques de prospérité et de calme la critique ressemble à une revue, à une inspection d’une armée brillante, intacte, et où chaque négligence d’uniforme, chaque contravention à la discipline, doit être l’objet d’un examen sévère, tandis qu’au lendemain ou à la veille des catastrophes elle s’occupe plutôt de recueillir les blessés, de reconnaître les survivans au milieu du champ de bataille, moins soucieuse des détails de discipline que des marques de courage, fût-ce un courage malheureux.

Tout est courageux, sans doute, mais tout n’est pas également malheureux dans les tentatives de nos théâtres pour lutter contre les rudes épreuves de la gêne et de l’agitation publiques. Un fait digne de remarque, c’est que, pendant ces grandes commotions, la littérature, la littérature dramatique surtout, ne connaît que deux extrêmes : ou elle s’empreint des idées, des sentimens dont ces commotions ont amené le triomphe, ou bien, se transportant à l’extrémité contraire, elle s’efforce de nous distraire du présent en ressuscitant sur la scène un monde à jamais disparu et diamétralement opposé à celui qui s’agite autour de nous. Si même nous voulions faire de notre observation une malice, nous pourrions dire que, suivant qu’une révolution est l’œuvre factice d’une minorité ou l’acclamation collective et enthousiaste d’un peuple, l’art contemporain reflète avec bonheur ou écarte avec soin les images que cette révolution lui fournit. Je n’ai garde d’insister sur cette remarque, car il me faudrait ajouter, pour être véridique, que, jusqu’ici, aucune émanation directe de la révolution de février ne s’est révélée dans l’art ; qu’au théâtre, par exemple, les seules pièces qui aient réussi à triompher des préoccupations générales ont été ou des joyeusetés aristophanesques, fort peu respectueuses pour les physionomies nouvelles, ou des esquisses d’une société polie, dont nous étions assurément bien loin, telles que les charmantes comédies de M. Alfred de Musset.

C’est à cette catégorie d’ouvrages, faits pour dépayser le public et nous transporter à cent lieues du monde actuel, qu’appartient la Vieillesse de Richelieu. A coup sûr, le maréchal de Richelieu, bien que soixante-dix ans à peine nous séparent de l’époque de sa mort, peut nous apparaître comme un personnage tout aussi lointain, tout aussi mythologique que les héros de la guerre de Troie, et, s’il suffit pour réussir de ne pas ressembler aux tribuns et aux grands hommes du moment, le succès était assuré. Par malheur, ce qui manque à la pièce, c’est le parti pris. Qu’ont voulu faire les auteurs ? une comédie ou un drame ? Leurs deux premiers actes ont les allures de la comédie ; l’action est vivement engagée, lestement menée, et, quoiqu’il y ait déjà bien des fausses notes dans le langage et les manières du vieux maréchal, cependant ce pastel Pompadour