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ne manque pas de piquant et de grace ; mais, au troisième acte, la pièce tourne au drame, et le maréchal de Richelieu se trouve mêlé à des reconnaissances maternelles et filiales, à une intrigue romanesque et pathétique, où il ne joue pas, il faut bien le dire, un rôle fort brillant. Je passerais cependant condamnation sur ces deux élémens hétérogènes, sur la juxtaposition de la comédie et du drame, si l’intention générale de la pièce avait plus de netteté. Il me semble que le sujet pouvait être envisagé de deux manières : il fallait ou nous donner un tableau de genre, gai, vif, animé, tout à l’ambre, sans grande prétention morale, et contrastant, par la grace des détails, l’élégance du dialogue, la futilité et l’enjouement mondains, avec nos mœurs de 1848 ; ou bien, ce qui eût été moins vrai, mais plus actuel et plus poétique, essayer de nous peindre la période du désenchantement dans le cœur d’un roué sexagénaire, le vague regret de n’avoir pas connu l’amour véritable, s’emparant d’une ame sèche, blasée, égoïste, et lui apprenant qu’en dehors des galanteries et des bonnes fortunes il existe un idéal qu’elle n’a jamais effleuré, une page qu’elle n’a point ouverte. Ce regret tardif et, pour ainsi dire, ce pressentiment rétrospectif de la vraie tendresse, de l’amour poétique et sincère, opposé à la passion romanesque et juvénile de René, eût pu être fécond en effets dramatiques, donner à la Vieillesse de Richelieu une conclusion morale, et mêler aux incidens cette analyse délicate, cette fine étude du cœur, qui a si bien réussi à M. Feuillet dans des œuvres de moindre dimension. Peut-être ce Richelieu n’eût-il pas été le Richelieu de l’histoire, des vers de Voltaire et des petits soupers ; mais il eût été plus acceptable que ne l’est le héros de la pièce nouvelle, lorsqu’il débite des tirades sur les progrès de l’humanité, sur les révolutions à venir, sur le moment où il sera plus beau d’ètre homme que gentilhomme. Comment des hommes d’esprit ont-ils pu se tromper à ce point ? M. Bocage, qui débutait dans cette pièce, a encore exagéré cette dissonance, qu’il faut peut-être attribuer à ses entètemens démocratiques. Sans doute, M. Bocage aura trouvé piquant de réaliser en sa personne ce Richelieu socialiste, humanitaire et si peu ressemblant au véritable. Il a eu tort cependant d’oublier que le comédien, doit s’inspirer du personnage et non pas ie personnage du comédien.

Quoi qu’il en soit, la Vieillesse de Richelieu est, malgré ses défauts, une pièce agréable, intéressante, recommandable surtout par ces heureuses qualités de distinction et de style qui se sont révélées déjà dans les premières tentatives de M. Feuillet. Mais que dire de Catilina ? Comment qualifier cette aberration, ou plutôt cette suprême décadence d’un écrivain qui s’annonçait, il y a vingt ans, avec de si brillantes facultés dramatiques ? Catilina, nous le savons, n’a été pour M. Dumas qu’un de ces clous auxquels il suspend ses tableaux de fantaisie et ses silhouettes contemporaines : procédé bizarre, qui, dédaignant cette vérité historique et cette vérité humaine qui sont l’essence même du drame, transporte sur le théàtre, émancipé par l’école nouvelle, l’allusion, le badigeon moderne, le trait emprunté à notre histoire de chaque jour, la tirade en prose ou en vers applicable aux questions qui nous occupent, moyens de succès qui ressemblent fort à ceux qu’employaient, dans leur plus beau temps, la tragédie philosophique et la tragédie de l’empire. Est-ce là, nous le demandons à M. Dumas, qui, dans ses momens perdus, a daigné traduire Shakspeare, est-ce là le genre de mérite qui éclate dans Coriolan, dans Jules César, dans Antoine et Cléopâtre ? Sans