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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/818

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la situation sur laquelle allait avoir à se prononcer l’assemblée nationale. On apprit d’abord la capitulation du général Durando, qui livrait à l’Autriche les clés de la Vénétie. Un homme qu’il faut plaindre et qu’on voudrait n’avoir point à blâmer, le général Zucchi, ajouta, de son côté, un nouveau chiffre à la liste déjà trop nombreuse de ses capitulations[1]. Vicence, Padoue, Trévise, Rovigo, tombèrent successivement au pouvoir des Autrichiens. A la nouvelle de ces désastres si nombreux, si imprévus, Venise, un moment interdite, crut devoir ajourner la convocation de l’assemblée nationale, fixée d’abord au 18 juin. La reddition de Vicence avait eu lieu le 12 juin, celle de Padoue le 14. Le moment où ces revers se succédaient n’était guère favorable à la réunion d’une assemblée délibérante. On remit donc l’ouverture des délibérations au 3 juillet. Ce jour-là, cent trente-trois députés de Venise et des territoires non encore occupés par l’ennemi se rendirent au palais ducal. La question qu’ils avaient à discuter était double et se formulait ainsi : « Fallait-il se prononcer immédiatement sur le sort de Venise, ou attendre la fin de la guerre ? Fallait-il ou non se donner au Piémont ? »

La discussion ne tint guère que trois ou quatre séances. Les députés vénitiens, il faut le reconnaître, montrèrent un tact politique dont les assemblées nationales des autres états de l’Italie avaient rarement donné l’exemple. Ils ne firent point étalage de rhétorique, et ne parurent soucieux que de porter une égale lumière sur tous les points du débat. M. Tommaseo fut le seul qui se prononça contre la réunion au Piémont ; il blâma cette mesure tardive comme aussi inutile que blessante pour la fierté nationale. Quant à M. Manin, il se montra réellement digne du rôle que la confiance du peuple lui avait assigné. Venise put admirer en lui plus que l’orateur, plus que l’homme d’état ; elle put reconnaître le citoyen dévoué qui tremblait pour l’avenir de son pays. M. Manin porta presque seul tout le poids de la discussion, qui ne fut, pour ainsi dire, qu’un long dialogue entre le président du conseil et l’assemblée. Les opinions républicaines du chef du gouvernement vénitien étaient assez connues, et, loin de les cacher, M. Manin s’en faisait gloire ; ces opinions lui interdisaient d’entrer dans une administration monarchique, et cependant il venait conseiller, supplier

  1. Déjà, vers la fin d’avril, le général Zucchi avait été au moment d’abandonner furtivement la forteresse de Palma-Nova, alors menacée par les Autrichiens, pour se rendre, sous un déguisement, au quartier-général de Charles-Albert. Ce fut la femme du plus grand tragédien dont s’honore aujourd’hui la scène italienne, Mme Modena, qui fit renoncer le général à ce plan aventureux. L’envahissement de la Vénétie par les Autrichiens, après la capitulation de Durando, parut enfin au général Zucchi une occasion favorable pour exécuter son projet de retraite, auquel s’étaient associés les artilleurs piémontais placés sous ses ordres. Les volontaires vénitiens qui faisaient partie du corps de Zucchi durent, en cette occasion, se soumettre, non sans regret, aux volontés du général.