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Venise de renoncer à la république pour se réunir au royaume de la Haute-Italie. A ceux qui voulaient poser des restrictions, des conditions, à ceux qui demandaient des garanties et des promesses, il répondait qu’un acte d’union pur et simple présentait moins d’inconvéniens, moins de dangers qu’une adhésion limitée, qui, pour peu qu’elle fût incomplète, pourrait tourner contre les libertés qu’elle était destinée à sauvegarder. L’opinion de M. Manin prévalut sur les deux questions, et l’assemblée décida, à la majorité de 127 voix contre 6, que l’union pure et simple au Piémont, aux conditions stipulées par les Lombards, aurait immédiatement lieu. L’on s’occupa ensuite de la formation du gouvernement provisoire qui devait conduire les affaires en attendant l’arrivée des commissaires piémontais. Cette fois encore, une lutte touchante s’engagea entre M. Manin et l’assemblée, qui ne voulait pas d’autre gouvernement que le sien. M. Manin dut monter plusieurs fois à la tribune pour combattre la détermination de ses collègues. Un député ayant demandé qu’on prévît le cas où Venise serait sacrifiée par le Piémont dans quelque nouveau traité de Campo-Formio, et que le président s’engageât, si une telle occurrence se produisait, à reprendre son poste : — « Il est inutile, répondit M. Manin, de prévoir de semblables éventualités ; il est inutile que je prenne de pareils engagemens. Est-il parmi vous quelqu’un qui doute de mon dévouement ? (Ces derniers mots soulevèrent dans l’assemblée une explosion d’applaudissemens.) N’attristons pas ce jour et cette délibération par des paroles de mauvais augure. Nous ferons tous et toujours notre devoir, et ce devoir nous impose aujourd’hui de nous unir franchement et simplement au Piémont. Nommez un gouvernement qui ne soit pas l’expression d’un sentiment de défiance envers l’état dont vous allez faire partie. » Ces mâles paroles entraînèrent l’assemblée, qui choisit les membres du nouveau gouvernement dans la fraction la moins républicaine de l’ancien cabinet. M. l’avocat Castelli fut élu président, et s’adjoignit comme ministres MM. Paleocopa, Camerata, Paolucci et Cavedalis.

Avant de prendre congé de l’assemblée et de leur pays, les ministres démissionnaires voulurent rendre compte de leur administration, et les discours qu’ils prononcèrent à cette occasion, resteront comme de curieux documens sur l’histoire contemporaine de Venise. M. Manin raconta les démarches que le gouvernement vénitien avait tentées auprès de plusieurs états de l’Italie, particulièrement depuis la jonction des deux corps d’armée de Radetzky et de Nugent, pour les décider à invoquer de concert avec lui l’intervention armée de la France. À cette circulaire du gouvernement vénitien, le roi de Piémont n’avait fait aucune réponse ; la Toscane et les états pontificaux avaient tenu un langage amical, mais sans se prononcer nettement sur la question. En somme, le résultat de cette démarche avait fait ressortir le défaut d’accord