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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/912

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plaine, sans murailles ni fossés, sans artillerie, sans aucun moyen de résistance. Aussi bien les officiers des avant-postes affectaient envers les populations des sentimens pacifiques ; ils leur insinuaient que la présence des Turcs était une affaire de diplomatie et point une question de guerre, comme l’apparence pouvait l’indiquer. Le langage de Fuad n’avait rien annoncé de menaçant, et l’on n’attendait de sa part aucun acte de violence. Avant d’entrer dans Bucharest, il manda en son camp une députation de la ville pour lui communiquer les intentions de la Porte Ottomane. Trois cents patriotes s’y rendirent avec anxiété, et pourtant aussi avec confiance ; mais quelle fut leur surprise, lorsqu’ils apprirent de la bouche de Fuad-Effendi que tous ceux qui refuseraient de reconnaître l’ancienne constitution, l’odieux règlement imposé par la Russie en 1834, déchiré en juin aux acclamations de toute la Romanie, seraient considérés et traités comme rebelles ! La députation déclara immédiatement, par l’organe de N. Balcesco, C. Rosetti et N. Crezzulesco, qu’elle se ferait tuer plutôt que de renier ainsi la foi politique du pays. Deux cent cinquante de ces patriotes résolus furent cernés et retenus prisonniers, en même temps que l’armée recevait l’ordre d’opérer son entrée dans Bucharest. Le mouvement n’eut d’abord aucun caractère d’hostilité ; d’ailleurs, la lieutenance princière avait jugé toute défense impossible et insensée. Toutefois, dans le désordre de l’occupation mal dirigée par le général en chef, une poignée de soldats de la garnison, l’ame déchirée de ce douloureux spectacle, et ne pouvant se résigner à livrer volontairement leur caserne aux Turcs, résolurent, par une folie héroïque, d’affronter une mort bien certaine, pour que la démocratie roumaine, en succombant, laissât du moins cet exemple après elle. Ils furent exaucés, et périrent jusqu’au dernier, tandis que les membres de la lieutenance princière et leurs adhérens dispersés, accablés de désespoir et croyant toute voie fermée à la conciliation, songeaient à organiser dans les montagnes une guerre de partisans sous la conduite du chef de pandours Maghiero.

Cette résolution entraînait de graves conséquences, qui valaient bien d’être méditées. La Valachie et la Moldavie forment dans leur région orientale une plaine immense, composée alternativement d’oasis d’une admirable fécondité et de steppes incultes et désertes. Ces plaines uniformes, sans aucun accident de terrain, vont rejoindre au nord, par-delà le Pruth et le Dniester, les vastes champs de la Russie méridionale, et au midi, par-delà le Danube, ceux de la Bulgarie. Les grandes armées régulières, la cavalerie, peuvent s’y remuer à l’aise, et les populations, à moins d’être puissamment armées, n’ont d’autre recours contre la conquête que d’abandonner les villes et de se retirer dans les montagnes. Des peuples rudes et simples comme les Serbes prennent ce parti sans hésiter, si le salut du pays l’exige. Les Serbes ont leur mont