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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/919

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claire et nette de la situation, des traités, des droits, et une résolution formelle de pousser les choses à leurs dernières conséquences, moyen à peu près sûr de les éviter. La Turquie, dans les rudes leçons de l’adversité reçues coup sur coup depuis 1827, a pris l’habitude de faire trop bon marché de son indépendance diplomatique et s’est trop facilement laissé mettre en tutelle par la diplomatie européenne. Le retour des populations chrétiennes à une cordiale entente avec le sultan lui permet de s’affranchir de cette pesante servitude et de se présenter en face de la Russie avec la susceptibilité d’un souverain fort de son droit et jaloux de son honneur. Qu’est-ce donc que le droit lui permet ? qu’est-ce que l’honneur lui conseille ? C’est de demander, d’exiger l’évacuation des principautés, de repousser par voie diplomatique, au-delà du Pruth, cette armée qui n’avait pas le droit de mettre le pied sur le territoire roumain sans un appel des populations, et qui a encore bien moins le droit d’y séjourner depuis que la révolution de Bucharest est comprimée. De combien d’argumens ne pourrait-on pas corroborer ces puissantes raisons, à la vue des souffrances que l’armée russe fait peser sur le pays, des persécutions dont elle frappe les personnes, des impôts dont elle accable les propriétés !

Que la Turquie comprenne donc et qu’elle parle. Si ses paroles ne suffisent pas, qu’elle proteste devant l’Europe. Cette protestation n’eût-elle aucune chance d’être appuyée par les cabinets de l’Occident, la France elle-même dût-elle méconnaître assez ses meilleures traditions diplomatiques, ses intérêts et ses principes pour rester froide en présence d’une pareille démarche, l’attitude du divan porterait néanmoins au protectorat un coup bien redoutable. La Russie se rappellerait peut-être l’échec qui lui fut infligé en 1842, en Servie, à une époque bien moins critique, bien moins périlleuse pour l’absolutisme et la conquête. Si, enfin, contre toute vraisemblance, une protestation ne suffisait pas, si la lutte diplomatique engagée et terminée victorieusement par la Turquie dans la révolution serbe n’était plus possible aujourd’hui, pourquoi craindrait-on si fort de remettre la querelle au jugement des armes ? Pourquoi n’oserait-on pas faire appel, pour la première fois, à ces populations roumaines, helléniques, illyriennes, qui, tenues jusqu’à ce jour à l’écart par les préjugés religieux, ne cherchent qu’une occasion de mêler leur sang à celui des Osmanlis dans une campagne en règle contre le protectorat ?

La Moldo-Valachie n’est pas suffisamment armée, mais elle le sera le jour où on le voudra. Les Hellènes de la Romélie, les Bulgares, les Bosniaques, vivent le pistolet à la ceinture et souvent le fusil sur l’épaule. Les Serbes ont des troupes régulières, une réserve savamment organisée et des volontaires autant qu’il y a d’hommes valides sur leur sol belliqueux. Voilà les auxiliaires, la force nouvelle, non encore éprouvée,