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que le sultan a sous la main, s’il consent à l’étendre jusqu’aux populations chrétiennes de la Turquie d’Europe. Avec ce concours amical des chrétiens, autrefois les alliés des Russes, avec l’encouragement qu’une semblable guerre ne pourrait manquer de recevoir des cabinets de l’Occident, avec les élémens d’insurrection qui se dégageraient inévitablement dans la Pologne, au seul bruit du canon, la Turquie aurait plus d’une chance de n’être pas battue.

Victorieuse ou vaincue, en suivant la voie de la résistance diplomatique ou armée, elle obtient dans son sein un résultat moral de grande portée. L’alliance des races chrétiennes avec la race ottomane se trouve cimentée, consacrée par cet effort énergique tenté en commun. De là au triomphe du principe de l’égalité des races, il n’y a plus à franchir que l’obstacle des vieux préjugés de religion de jour en jour moins ardens. L’obstacle sera renversé par les mains de la Turquie elle-même, dans un avenir qui n’est peut-être pas éloigné. Les noms fâcheux de vassaux et de sujets auront disparu, et la race ottomane ne verra plus dans les chrétiens que des égaux. Ce principe de l’égalité des individus et des races ouvrira aux Roumains et aux Illyriens un avenir nouveau ; car, en les accueillant sur le pied d’égalité, la race turque partagera en quelque sorte avec eux le pouvoir et l’empire. Peut-être, en raison de la jeunesse, de l’ardeur et du nombre, les chrétiens saisiront-ils la plus grande part d’influence et d’action ; mais la Turquie n’appartiendra pas du moins au Moscovite, elle n’aura pas été morcelée, elle n’aura pas disparu de la carte. Elle subsistera sous une forme nouvelle, avec un esprit nouveau. Et. peu importe quelle sera précisément cette forme, pourvu que sur ce territoire, le plus beau de l’Europe, et, depuis si long-temps, le plus stérile, les germes comprimés d’une civilisation nouvelle puissent enfin se développer librement.

Que l’Orient progresse, que la liberté y prenne racine, que des peuples forts s’y constituent, qu’une civilisation nouvelle ranime et remplisse ce grand corps languissant de l’empire ottoman : voilà le but nécessaire de la politique française sur le Bosphore. Il fut sans doute un temps où l’opinion était d’un autre avis, où, frappée de cette décadence, de cette torpeur, de cette immobilité en apparence systématique et irrémédiable de la race musulmane, elle se fût prêtée volontiers à des idées de partage qui eussent établi sur les ruines de ce vieil empire plusieurs petits peuples protégés par l’Europe, c’est-à-dire livrés aux influences rivales de la diplomatie européenne et embarrassés dans leurs allures par les convenances et le génie particulier des nations protectrices. C’était le plus sûr moyen d’étouffer la vie en détruisant toute originalité parmi ces peuples jeunes que l’on prétendait constituer, et c’eût été dans l’avenir, entre les cabinets de l’Europe, une intarissable source de difficultés, une cause permanente de conflits dangereux pour