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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1000

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réelle, telle qu’elle se passe chez nous, et mettre en parallèle le tableau correspondant en Angleterre et aux États-Unis. Il y aurait eu à prendre l’homme du moment qu’il entre dans l’atelier ou dans sa profession, du moment même qu’il s’y prépare, et le placer successivement en présence des différentes lois qui peuvent affecter le travail, de la loi politique, de la loi civile, de la loi militaire aussi bien que de la loi commerciale et de la loi administrative. Comme producteur et comme consommateur, il y aurait eu à le placer successivement en présence de l’autorité communale, en présence de l’état, en présence du maître d’école qui façonne son esprit ; il eût fallu surtout lui ménager un tête-à-tête avec le fisc. De cette étude faite simultanément sur les trois pays aurait jailli une vive lumière. Il en serait ressorti que l’homme qui travaille, et par là j’entends le chef d’industrie tout comme l’ouvrier, est beaucoup plus gêné dans l’exercice de ses facultés chez nous que dans la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Le Français industrieux est, par rapport à l’Anglais ou à l’Américain, ce qu’est l’homme qui a une main liée derrière le dos par rapport à celui qui a la libre jouissance de ses deux bras. Comment s’étonner qu’il ait une moindre puissance dans le travail ?

La commission a entièrement, négligé cette partie du sujet dévolu à ses méditations, quoique ce fût la principale : c’est ce qui l’a condamnée à l’impuissance, malgré la réunion de talens et de capacités qu’elle offrait. Les plus habiles gens ne sauraient avancer devant eux, quand ils se sont jetés dans une impasse.

Impuissance ! c’est le mot de la situation, c’est le nom de l’époque. La commission de l’assistance et de la prévoyance. publiques s’est trouvée impuissante, il n’en pouvait être autrement, parce que l’assemblée, dont elle est le reflet, l’est elle-même à un degré dont l’histoire offrirait peu d’exemples. L’assemblée est dans l’impuissance, parce qu’elle est l’image du pays, qui a cessé d’avoir une idée nette et une volonté positive sur quoi que ce soit. Chacun, reployé sur soi, caresse ses petites opinions ou plutôt ses petites vanités. Nous sommes la caricature de l’homme juste d’Horace ; l’univers ébranlé tomberait en éclats, le choc de ses débris ne nous réveillerait pas de nos rêves d’amour-propre. Et voilà pourtant le spectacle dépourvu de noblesse et de sérieux qu’offre en ce moment la société française ! Mais elle changera d’attitude ; elle en changerait, quand bien même il ne lui resterait plus qu’à périr, et je proteste contre cette opinion désespérée. Elle trouverait en elle-même la force de s’appliquer la pensée de César qui disait à son moment suprême : Il faut qu’un empereur meure debout.