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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1030

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REVUE DES DEUX MONDES.

d’élite. L’illustre républicain écrivait à grands traits son nom dans l’histoire, comme si sa main eût été hâtée par un triste pressentiment. Sur ce fier visage et à travers ce sourire, on pouvait lire par instants ce caractère fatal de mélancolie, qui prête encore après des siècles une grâce touchante au souvenir de Germanicus et qui manquait à César.

C’est une des misères, sinon un des crimes du romancier, que de réduire aux proportions puériles de son cadre les géans de l’histoire. Il peut à la vérité invoquer pour excuse l’espèce d’intérêt particulier avec lequel on voit toujours ces demi-dieux descendre de leur piédestal sur le terrain commun de l’humanité ; mais les gens chagrins n’en ont pas moins le droit de le comparer à un enfant qui prétendrait utiliser dans ses jeux les formidables machines de la guerre et de l’industrie. Quoi qu’il en soit, convaincu que les torts avoués sont à moitié pardonnes, nous reprenons avec une conscience plus légère le fil de notre récit.

Le général, délivré de la présence du conventionnel, demeura quelques minutes à la même place, la tête penchée et l’œil rêveur. Puis. faisant tout à coup le geste d’un homme qui s’abandonne résolument à toutes les conséquences d’une action irréparable, et qui passe à un autre ordre d’idées, il se leva et s’approcha d’une fenêtre qui donnait sur la cour ; il ne parut pas y voir ce qu’il y cherchait, et commença à travers la chambre une promenade impatiente qu’il interrompait souvent par de courtes stations près de la fenêtre ou vis-à-vis d’une pendule placée sur une console. Par intervalles, les pensées dont eon esprit était agité s’échappaient comme involontairement de sa bouche distraite. — Quelle déception ! murmurait-il. Ce sont les hommes ! Rude leçon, et inattendue… Sa dupe… c’est le mot… Son jouet… si long-temps…, si franchement. Et quels malheurs il va causer !… Que de sang ! Insulte à moi… Crime public… Tout… Misérable !…

Le bruit d’une main qui heurtait légèrement à la porte interrompit le général. Après qu’il eut dit qu’on pouvait entrer, la porte s’ouvrit, et la personne distinguée et délicate du commandant Hervé de Pelven se présenta aux yeux de Hoche.

Le général s’avança lentement vers celui qu’une heure auparavant il appelait son ami et se mit à le considérer avec une singulière curiosité, comme s’il cherchait à démêler dans ces traits bien connus quelque signe secret, quelque trace hideuse jusqu’alors inaperçue. Terminant tout à coup son examen par un mouvement d’épaules expressif, il s’assit à demi sur l’angle de la table où son sabre était posé, et, sans cesser d’étudier du regard le visage de Pelven :

— Où est Francis ? dit-il.

Cette question ne put faire sortir Hervé du muet étonnement où l’avait plongé l’accueil inexplicable du général en chef.