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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1031

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BELLAH.

— Je vous demande où est Francis, répéta celui-ci en élevant la voix : qu’en avez-vous fait ?

— Mon général, dit le jeune commandant, Francis est en bas dans la cour. Nous arrivons ensemble.

— Ah ! — Eh bien, dites-moi. monsieur de Pelven, vous avez réussi selon vos souhaits, n’est-ce pas ?

— Oui, général, répondit sèchement Hervé, dont l’orgueil s’alarmait peu à peu de ces procédés et de ce langage si différens de la familiarité cordiale à laquelle il était habitué.

— C’est fort heureux pour vous comme pour moi, monsieur.

— J’ai le regret de ne pas vous comprendre, général.

— Ah !… Eh ! dites-moi, la graine de chouans pousse-t-elle dans le pays ?

— Tout ce que j’ai vu, citoyen général, est menaçant et annonce une levée d’armes prochaine. Nous avons même cru entendre le canon hier et cette nuit.

— Vraiment ! Vous avez fait là, en effet, une dangereuse campagne, et qui ne restera pas sans récompense, s’il y a encore quelque justice dans le monde ; mais il faut d’abord, je suppose, vous féliciter de votre merveilleux talent dans la spécialité que vous avez eu le bon goût de choisir, monsieur de Pelven : jamais masque d’infamie ne ressembla si bien, je l’avoue, à un visage d’honnête homme.

Une vive rougeur colora subitement les joues et le front du jeune commandant ; mais ce fut la seule marque d’émotion que son empire sur lui-même ne put parvenir à dissimuler.

— Je n’en suis pas à m’apercevoir, dit-il, que je me trouve ici sur un banc d’accusé : on me l’avait prédit ; mais je croyais pouvoir attendre du général Hoche que l’explication précéderait l’outrage.

Bien que l’hypocrisie qui se sent dévoilée trouve quelquefois dans l’inspiration du péril des attitudes et des accens d’une déplorable vérité, la contenance de Hervé, la fermeté de sa voix, ébranlèrent la conviction du général ; mais, avant qu’il eût pu lui répondre, son attention fut attirée du côté de la cour par un bruit de chevaux, suivi d’un tumulte de voix. Peu d’instans après, le lieutenant Francis entrait dans la chambre d’un air affairé, tenant à la main un paquet de lettres.

— Pardon, mon général, dit-il ; ce sont des dépêches qu’apportent deux dragons des divisions Humbert et Duhesme. Il parait que le four chauffe par là-bas.

Le général, qui avait touché amicalement l’épaule du petit lieutenant, ouvrit les dépêches avec vivacité, et en commença une lecture rapide qu’il interrompit fréquemment par des exclamations irritées ; puis, jetant tout à coup avec violence les lettres sur le parquet et s’adressant à Francis d’un ton qui indiquait une fureur difficilement