Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/1033

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
1027
BELLAH.

Après tout, il peut y avoir une espèce de grandeur dans ce rôle ; mais elle n’est pas de celles que j’aurais ambitionnées. Assurément, monsieur, continua-t-il avec une inflexion de voix plus douce et presque attendrie, j’étais loin de m’imaginer que nos relations d’estime, d’amitié, aboutiraient à un moment semblable : ce n’est pas sans une douleur profonde… Le général, distrait par le bruit des sanglots que le pauvre Francis n’avait plus la force d’étouffer, se tut subitement. Il ouvrit la porte, et appelant un des soldats qui veillaient dans l’antichambre : — Le citoyen Pelven, lui dit-il, est votre prisonnier ; vous m’en répondez. Lieutenant Francis, allez m’attendre, là.

Le jeune lieutenant jeta sur son protecteur un regard suppliant ; un nouveau signe impérieux lui répondit, et l’enfant se réfugia dans la pièce voisine avec une hâte désespérée.

— Monsieur Pelven, reprit alors le général, on voulait vous conduire dans les prisons, et de là vous savez où. J’ai cru que, malgré tout, vous aimeriez mieux avoir la fin d’un soldat.

— Merci, général, dit Hervé.

— Vous avez un quart d’heure, monsieur. — Hoche se détourna brusquement en achevant cette phrase, et, fermant la porte derrière lui, il rejoignit Francis dans l’antichambre. Un vieux sous-officier se tenait près d’eux, la main respectueusement ouverte à la hauteur du bonnet de police ; le général l’appela : — Tu vas prendre avec toi quinze grenadiers, lui dit-il ; conduis-les dans le champ qui est à gauche de la ferme, fais charger les armes et attends l’homme que je t’enverrai. — Puis, entraînant par le bras son jeune aide-de-camp tout éperdu, il le fit entrer à sa suite dans une chambre qui s’ouvrait sur l’autre face de l’escalier.

On a pu remarquer avec surprise qu’entre le juge et l’accusé il n’y avait eu aucune explication suffisante pour faire connaître à celui-ci la nature et l’étendue du crime qu’on lui imputait ; mais, d’une part, le général ne croyait rien avoir à lui apprendre sur ce point ; de l’autre, Pelven avait vu dans ce qui lui arrivait la conséquence logique des manœuvres qui avaient eu pour but de l’attacher à la cause royaliste en le rendant suspect à son parti. C’était plus qu’il n’en fallait, au temps où vivait Pelven, pour motiver une condamnation capitale. Ainsi se vérifiaient d’ailleurs et la prédiction que lui avait faite M"" de Kergant sur la lande aux Pierres et toutes les vagues appréhensions que les souvenirs de sa malheureuse expédition avaient laissées dans son esprit.

Cependant Hervé, demeuré seul sous la garde de la sentinelle, cherchait à se rendre maître des révoltes instinctives, du chaos d’idées et de senti mens que soulève dans tout être humain la perspective prochaine et réfléchie de sa dissolution. Ses regards se portèrent malgré lui sur l’ai-